Monologue dramatique de Herbert Achternbusch interprété par Clotilde Mollet dans une mise en scène de Yves Beaunesne.
A côté de la cafetière qui est son bien le plus précieux, elle se raconte. Née au début de la première guerre mondiale en Allemagne, dès l'enfance elle sera maudite.
Maltraitée par son père, mise sous tutelle pour déficience intellectuelle, plutôt sans doute par trop de naïveté ou par l'accumulation des coups, elle est mariée à 21 ans. S'ensuit un long chemin de croix.
Ella déroule comme une logorrhée le texte divagant et circulaire de son histoire. Les années, elle ne s'en rappelle pas, mais les événements, très bien. La folie l'a sans doute rejoint. Et là c'est tout son parcours qui sort en un flot ininterrompu. Elle n'en finit pas d'égrener la liste de tous les endroits où on l'a mis.
En effet, les établissements psychiatriques, elle les a bien connu. C'est là où on la renvoyait toujours, quand elle était arrêtée pour vagabondage. A part sa soeur Lena, chez qui elle vit à présent dans le poulailler, personne ne trouve grâce à ses yeux. Tout le monde lui a fait du mal.
Et c'est tout son corps qui exprime la souffrance. Ella gémit, pousse des cris, elle qui a passé la plupart de son existence derrière des verrous. Elle raconte toute sa vérité, étape par étape, tire la langue, chante ou imite la poule dans le même besoin d'exorciser cette vie douloureuse. Portant cette grande table en bois sur le dos comme le fardeau de sa vie.
Ella c'est Clotilde Mollet. Extraordinaire d'humanité dans ce monologue d'Herbert Achternbusch - auteur allemand de la seconde moitié du 20ème siècle, elle confère à ce personnage une grâce quasi mystique en même temps qu'une grande douleur.
Touchante dans sa détresse, elle nous bouleverse de cette confession qui renvoie à toute une catégorie sociale qu'on ne veut pas voir et qu'Yves Beaunesne, dans une mise en scène en tous points parfaite, met en lumière magnifiquement.
Un peu plus loin de l'espace de jeu au fond, une autre table remplie d'objets hétéroclites (bouilloire, boite de conserve...) derrière laquelle au micro, Camille Rocailleux (à la création musicale) émet parfois des sons pour accompagner le récit ou les fabrique, le tout avec une incroyable finesse. Leur association, réglée à la perfection est une formidable réussite.
Dans une superbe scénographie de Damien Caille-Perret et des lumières d'une précision redoutable de Nathalie Perrier qui donnent à l'espace une atmosphère à la fois intime et oppressante, la comédienne fait de ce monologue chargé d'affliction à la rythmique syncopée, un lumineux plaidoyer pour les exclus. Toute sa vie, ça a été un chemin de croix dit-elle mais maintenant elle veut faire un café.
Impressionnante performance d'une comédienne totalement habitée, "Ella" est un monologue de très haute volée qui nous touche profondément. |