Spectacle adapté, mis en scène et interprété par Arnaud Chruin et Emanuela Pace, d'après Les Lances du Crépuscule de Philippe Descola.
Voilà un spectacle qui préfère la forêt aux planches de la scène, les odeurs des clairières à celle des rideaux de velours rouge. Bref, un spectacle qui trouvait sa place au Théâtre de Verdure du Bois de Boulogne et la trouvera bientôt dans un Tiers-Lieu d'Avignon.
On suppose qu'Arnaud Churin et Emanuela Pace auraient aimé jouer Anne-Christine et Philippe totalement en immersion dans une forêt où auraient pu figurer des Amérindiens rencontrés par le couple d'anthropologues Philippe Descola et Anne-Christine Taylor.
Mais le théâtre, c'est aussi avoir confiance dans l'imagination du public et l'adaptation qu'ont tiré Arnaud Churin et Emanuela Pace d'un livre très sérieux de Philippe Descola, Les lances du crépuscule, a besoin de spectateurs qui se prennent tout de suite au jeu : ils vont découvrir deux personnages, un homme costaud, jovial et barbu, main dans la main avec un p'tit bout de femme volontaire et prête pour l'aventure. Harnachés comme des explorateurs, avec une bande-son de Jean-Baptiste Julien qui, sans être redondante ni évidente, va donner le ton à l'ambiance forêt amazonienne. Si l'on ajoute le délicieux accent traînant sudiste d'Arnaud Churin, on est parti dans un ailleurs bienveillant - malgré les périls décrits par Philippe Descola... Car, la tribu dans laquelle l'élève de Claude Lévi-Strauss compte s'intégrer n'est pas inconnu des profanes : il s'agit des indiens Jivaros Achuar, les célèbres réducteurs de têtes, des indiens qu'on imagine avec des sarbacanes chargées de fléchettes empoisonnées.
Bien sûr, tout se passera bien pour les deux savants puisqu'ils feront le récit de leurs péripéties. Cela n'empêche pas qu'ils décriront quelques moments terribles quand les Achuars sont confrontés à une tribu "ennemi". Qu'on se le dise, on n'est pas dans la Palombie du Marsupilami ni au pays des Arumbayas dans Tintin, épisode "L'Oreille Cassée".
Texte pas évident, qui remet en cause la vision philosophique traditionnelle du "sauvage" et de la dichotomie nature / culture, le livre de Philippe Descola a fait l'objet d'une adaptation astucieuse où ont été mis en avant les passages décrivant l'arrivée des deux ethnologues, leur installation, leur vie de tous les jours parmi ce peuple dit premier.
Personne, on l'assure, ne sera abandonné en route sur la piste des Jivaros. Au contraire, avec humour et poésie, Arnaud Churin et Emanuela Pace emmènent chaque spectateur loin de sa zone de confort. Il ne le sait pas encore, mais il sera bien dans cet univers "dépaysant". Il y puisera de quoi comprendre ce que l'altérité veut dire. Certains en auront vraiment besoin. D'autres seront heureux qu'on puisse encore, en une heure et quinze minutes, montrer sa foi en l'humanité. Avec Anne-Christine, Philippe, Arnaud et Emanuela, on aura la confirmation que la connaissance et l'art font les hommes meilleurs. |