A
l’heure où son film "Anatomie de l’enfer"
déchaîne les critiques les plus partiales et les plus
sottes, il paraît bon de rappeler qu’il s’agit
de la mise en images d’un récit de Catherine
Breillat "Pornocratie"
paru en 2001 qui a également fait couler beaucoup d’encres
fielleuses.
Voilà comme il est curieux ! Curieux de voir ces critiques
si prompts à cerner l’indicible et à s’extasier
sur la magie du verbe ou le caractère innovant de la ponctuation
révélatrice d’une musique intérieure
dans certaines oeuvres se muer en traqueurs de fautes d’orthographe
et en recenseur de mots réducteurs.
Ainsi dire comme ce critique connu que Breillat montre une femme
qui "comme une ménagère" fait découvrir
son royaume aspirant est non seulement indigne de celui là
même qui l’écrit mais prouve, si besoin était,
par le choix de la comparaison retenue, l’estime accordée
à la gente féminine et permet même de douter
d’une lecture autre que superficielle.
Se contenter de parler de provocation, d’amoralité,
suffit à démontrer l’indigence de leur auteur
et les critiques seraient d’autant plus objectives et recevables
qu’elles se placeraient sur le terrain même du propos
de l’auteur. Et là, comme pour tout sujet, il y a matière
à ne pas partager l’analyse ou les convictions de Catherine
Breillat.
Catherine Breillat auteur, réalisatrice, militante, est
une femme qui mène un combat politique et qui dérange.
Sans doute d’autant plus qu’elle n’a rien, ni
au physique, ni dans la manière de s’exprimer, des
féministes virulentes et aboyantes qui tiennent le haut du
pavé médiatique avec forces de démonstrations
minaudières ou jet-setisées.
A l’origine, elle voulait adapter "La Maladie de la
mort" de Marguerite Duras dans lequel un homme paie une femme.
Pourquoi ? "Vous lui dites que vous voulez
essayer, essayer plusieurs jours peut-être. Peut-être
plusieurs semaines. Peut-être même pendant toute votre
vie. Elle demande : Essayer quoi ? Vous dites : D'aimer."
N’ayant pu en obtenir les droits, elle écrit Pornocratie,
duquel est absent toute dimension fictionnelle et dans lequel elle
renverse la proposition durassienne. Récit et non roman,
dont le titre s’inspire de l’autocratie du modèle
grec où les Grecs anciens se lamentaient du pouvoir des courtisanes,
pouvoir obscène des femmes qui n'ont pas de pouvoir qui les
excluait de la cité, il relate la quête d’une
femme qui veut savoir, savoir si elle est aussi indigne et coupable
qu’on le lui a appris.
"Ils ne la voient pas, car elle ne se
voit pas. Elle n’a plus d’apparence extérieure,
elle est blessée par sa blessure interne comme à tout
ce qui est répugnant en elle, et cela l’absorbe toute
entière à ses propres yeux comme à ceux du
monde. On lui dit de bien se tenir et de faire en sorte de taire
cela.". Or, elle fait partie des femmes pour qui "ce
n’est pas l’amour qu’on réclame mais le
regard".
Cette femme vit l’enfer, celui de n’avoir jamais admis
d'être condamnée à ce que la nature et l'oppression
sociale ont fait d'elle, ce continent noir de la sexualité
féminine, comme dit Freud, qui effraie les hommes. Et pour
cette quête ultime, elle choisit le mode du contrat avec un
homosexuel, un de ces hommes dont le regard sur les femmes ne s'inscrit
pas dans la dynamique de la jouissance sexuelle, qui sert de levier
pour défaire la masculinité, le contraignant à
surmonter l’effroi.
Catherine Breillat pense que le territoire de l'obscénité,
"ce qu’on appelle l’obscénité
des femmes, ce dont on les punit, c’est juste l’invisibilité
de leur indécence et sa puissance inadmissible que corrobore
le sceau démoniaque", fait peur aux hommes, car
appartenant au domaine de l'organique. Le sexe des femmes est associé
à cette horreur-là, qui renvoie à la peur de
son propre corps
Réflexion philosophique et politique sur l'être et
le devenir immanent de la femme, Pornocratie amène à
une terrible prise de conscience.
Alors, il devient évident que le malaise s’installe
dans la camp masculin quand elle écrit "La
jouissance (en tout cas celle des filles) est immanente. Elle est
le sujet du sujet. Homme, quelle que soit ta virile pugnacité,
tu ne peux parvenir à être que l’objet du sujet."
Quant aux femmes, il est clair aussi que l’analyse de Breillat
ne rallie pas tous les suffrages tant l'oppression politique peut
être douce. Il est un temps pour tout.
N’oublions pas que Simone de Beauvoir a fait scandale en
publiant "le Deuxieme Sexe" en 1949 qui contenait les
mots "vagin" et "clitoris" et qu’elle
fût traitée de pornographe !
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