Comédie
dramatique de Manuel Puig, mise en scène de Gilberte
Tsaï, avec Christiane Cohendy et Sylvie Debrun.
Au Nouveau Théâtre de Montreuil est monté,
pour la première fois en France, "Le
mystère du bouquet de roses" de Manuel
Puig, romancier et auteur dramatique argentin majeur,
qui possède ce don du syncrétisme, souvent considéré
comme consubstantiel de l'âme argentine, de mêler
la réalité et la fiction, le pathétique
au rire, l'onirisme à la trivialité du quotidien,
l'humour du désespoir à le mélodrame de
bazar enrobé de glamour kitsch.
Cette pièce en forme de huis clos met en présence
deux personnages confinés dans un lieu hors du monde
des vivants, une chambre d'hôpital : la malade, une femme
âgée dépressive qui se remet mal de la mort
de son petit-fils, fortunée et tyrannique, et une nouvelle
infirmière, une maigrichonne entre deux âges timorée
au profil bas qui court après le travail et le rêve
avorté d'être médecin.
Manuel Puig distille des dialogues qui, sous l'apparence du
banal du quotidien, laisse sourdre une inquiétante étrangeté
qui émerge de cette différence de classes sociale,
de cette confrontation maître-valet, de cette relation
sado-masochiste à géométrie variable inhérente
à la situation, et qui insidieusement induit une diffraction
comme dans un labyrinthe de miroirs de fête foraine. Tous
les repères s'effritent peu à peu : cette clinique
est-elle un centre de soins palliatifs, une clinique psychiatrique
ou déjà le néant ? le couple malade-infirmière
avec le phénomène de la mimesis existe-t-il ou
s'agit-il d'une personnalité schizoïde ?
La multiplication des points de vue, notamment à partir
des bribes de vie romancée des personnages, avec la rhétorique
du cliché que l'auteur manie avec délectation,
font de ce texte une partition complexe et excitante dont la
transposition sur scène pour ardue qu'elle soit est en
l'espèce parfaitement assurée.
En effet, dans un décor clinique de Laurent Peduzzi
et les lumières de Hervé Audibert soigneusement
travaillées, Gilberte Tsaï réussit cette
performance à partir d'une vraie intelligence et sensibilité
du texte, d'une mise en scène quasi millimétrée
et d'une véritable interprétation pointilliste,
au sens pictural du terme des deux officiantes.
En boucles peroxydées et déshabillé de
satin rose, visage de poupée de porcelaine d'une Mae
West vieillissante, Christiane Cohendy
fabuleuse comédienne, atteste ici de la virtuosité
et de la profondeur d'un jeu qui, à l'instar de la maîtrise
du trapéziste voltigeur, passe d'une émotion à
l'autre en une fraction de seconde tout en composant progressivement
et de manière quasi-subliminale les facettes et les ambiguïtés
d'un personnage qui oscille entre confusion mentale, manipulation
et affabulation.
Face à elle, Sylvie Debrun
lui tient la dragée haute en composant subtilement, mine
de rien, sans artifice, un personnage en creux qui, en symétrie
avec le sien en voie de dévoilement qui s'épluche
tel un oignon, s'étoffe progressivement en ajoutant des
niveaux successifs de complexité. |