Comédie dramatique écrite et mise en scène par Marie Levavasseur, avec Marie Boitel, Yannis Bougeard, Béatrice Courtois, Serge Gaborieau, Valentin Paté, Zoé Pinelli et Morgane Vallée.
Avec "L'Affolement des biches", Marie Levavasseur quitte pour la première fois le théâtre pour enfants où elle a fait jusqu'ici ses armes et, pour bien marquer son changement de registre, a décidé de traiter de la mort.
Mais le naturel de chacun revenant au galop, y aura-t-il, au final, une si grande différence que ça dans sa nouvelle écriture avec celle qui caractérisait son travail précédent ?
Ce qui va être proposé et réussi, ne sera-ce pas une vision de la mort empreinte de la naïveté de l'enfance ? Une vision hors du sordide, presque baroque, voire poétique, qui n'implique ni un rapport réaliste ni un rapport moderne aux choses.
Tout au contraire, Marie Levavasseur impose immédiatement son temps à elle et s'y installe pour une espèce de re-création à l'envers du monde en sept jours où l'enjeu ne sera pas cette fois-ci la mise en place de l'humanité sur terre, mais son évanouissement symbolisé par le sort post-mortem pas commun de la grand-mère, Annabelle (Marie Boitel).
Dans ce contexte, c'est évidemment sa petite fille de 13 ans, Cahuète (Zoé Pinelli), fille de sa fille Fluvia (Béatrice Courtois) qui va être la première à parler et qui, bien qu'elle n'ait jamais été confrontée au deuil et à la disparition d'un proche va, peu à peu, faire triompher sa vision colorée et végétalisée de la mort. C'est elle aussi qui aura le dernier mot (chanté).
Sur la large scène figurant la grande maison dans laquelle vivait Annabelle, où figure un grand escalier vaguement de style Art Nouveau, les scénographes Magali Murbach et Clémentine Dercq ont inclus des éléments de verdure avec des feuillages et des arbres qui peu à peu encombrent tout l'espace où repose de manière hiératique la dépouille de la morte, posée ça et là sur un divan jamais à la même place.
Il faut dire qu'elle continue de proférer des paroles, de commenter les échanges vifs sur son sort que peuvent avoir ceux qui lui ont survécu. Son ex-mari, Einstein (Serge Gaborieau) et ses autres enfants, Elton (Yannis Bougeard) et Rose (Morgane Vallée) sont venus rejoindre Cahuète et Fulvia et l'ambiance est à la fois déjantée et tendue.
Sous le regard extérieur du compagnon italien de Rose, puis du conseiller funéraire, joués tous les deux par Valentin Paté, qui vont souligner les déchirures de cette famille peu équilibrée et pas vraiment adaptée à un moment en général prévu pour le recueillement et la réception de quelques leçons sur le sens de la vie...
On aimerait croire que Marie Levavasseur connaît les symbolistes tardifs, genre Léon Bloy et surtout Remy de Gourmont, dont certaines oeuvres pourraient être en correspondance avec ce qu'elle montre sur cette scène surchargée d'éléments évocateurs de ce courant (vitraux, fleurs).
Qu'importe qu' elle les connaisse ou pas, Carlos Saura, lui, s'en est souvent nourri... et ce n'est pas un hasard si "L'Affolement des biches" s'achève par la reprise de la chanson de Jeanette, "Por que te vas", utilisée par le cinéaste espagnol dans "Cria Cuervos". Là aussi, une petite fille découvre la mort et les circonstances font qu'elle n'en déduit ce qu'on en déduit d'ordinaire.
Marie Levavasseur dit s'être inspirée de la période où l'on n'a plus pu enterrer ses morts "normalement" dans l'hystérique période de la pandémie covidienne. C'est cela que sous-tend ce récit, hors du commun. Cette parade de personnages singuliers cache avec pudeur le parcours d'une jeune adolescente qui perd sa grand-mère.
Dans le titre, "L'Affolement des biches", on devine tout ce qui la perturbe, toutes les questions qu'elle se pose et dont elle n'aura jamais de réponses eu égard aux circonstances exceptionnelles. Mieux vaut encore fuir dans la forêt, celle de son esprit, où se cache tout l'amour pour un être cher qui ne préoccupe les adultes qu'en tant que cadavre à faire reposer rapidement "en paix" pour des raisons avant tout hygiéniques. |