Parmi les pavés de la rentrée littéraire 2013, les 800 pages du roman "Et quelquefois j'ai comme une autre grande idée" de l'américain Ken Kesey dont le premier opus "Vol au dessus d'un nid de coucou" a été largement popularisé par le film éponyme de Milos Forman.
Pour la première fois traduit en France grâce aux Editions Monsieur Toussaint Louverture, ce roman écrit au début des années 1960 par Ken Kesey, fils d'éleveur du Colorado, né en 1935, devenu apôtre de la culture psychédélique et de la vie sous acide pour ensuite faire un coming back vers le bio-écolo de la ruralité originelle, est considéré comme un (et son) chef-d'oeuvre.
Inscrit dans la tradition du "grand roman américain" pour lequel sont convoquées les figures tutélaires du réalisme engagé que sont Faulkner, Steineck, Hemingwey et Dos Passos, il propose au lecteur une immersion dans l'Amérique profonde, dans une région sauvage, frustre et inhospitalière de l'Oregon, au climat humide et au soleil rare, qui sert de toile de fond à une fresque psycho-sociale rurale en temps de crise et à un drame familial.
Cette contrée coincée entre une forêt sombre qui défend chèrement sa peau face aux coups de hache et un fleuve tempétueux et indocile qui réussit à tout engloutir sur son passage et à décourager les velléités de construction riveraine, est devenue terre de repli des pionniers que la pauvreté a chassé des Grandes Plaines.
Au milieu du 20ème siècle y vivent leurs descendants reconvertis dans l'exploitation forestière, des hommes quasiment d'un autre âge, souvent violents et alcoolisés, à la vie rude, en révolte contre la mécanisation et l'exploitation capitaliste tant du bois que des hommes et qui décident de se syndiquer non seulement pour revendiquer l'amélioration de leur condition de vie mais également pour s'opposer aux diktats des compagnies capitalistes.
Tous sauf, préférant faire cavalier seul, ceux de la famille Stamper, "le clan des irréductibles" - qui sera le titre de l'adaptation cinématographique réalisée en 1970 par Paul Newman - dirigé par un patriarche surnommé le "vieux fou de la forêt" dont la devise est "Cède jamais d'un pouce" et au sein duquel va se nouer une véritable tragédie intestine.
Celle-ci repose sur une intrigue empruntant à la mythologie biblique, les paraboles du fils prodigue et des frères ennemis pour traiter du clivage étasunien entre la côte Ouest individualiste et la côte Est intellectuelle ainsi que de l'opposition de deux des archétypes nationaux que sont le terrien, solide "redneck" bas du front et l'intellectuel libertaire hippie.
Pour lecteur averti adepte de la chlorophylle et de la méditation tellurique sous peine de périr d'ennui
face aux grands moments de bravoure descriptive concourant à l'apologie élégiaque d'une grandiose nature indomptée et sensible aux épopées humaines sous testostérone narrées de manière polyphonique. |