C’est après le fameux Jeux de miroirs qu’il revient avec Mémoire brisée. L’auteur roumain Eugen Ovidiu Chirovici n’en a pas fini avec les apparences trompeuses et les faux-semblants. Si son premier roman vous est inconnu, il n’en sera peut-être pas de même avec ce second, troublant dans sa manière de regarder le présent.
Il y a les souvenirs que nous aimons évoquer, ceux que nous préférons oublier, ceux que nous nions en sachant les évoquer, et ceux que nous évoquons alors qu’ils ne nous appartiennent pas, il y a ceux dont nous nous vantons et ceux que notre subconscient nous cache au fin fond de sa poubelle à engloutir les résurgences.
Ce sont ces types de souvenirs-là qui motivent l’écriture de Mémoire brisée. Et plus précisément les souvenirs de Fleischer, enterrés au bout de bout de ses cachettes secrète, perdus dans le labyrinthe de ses connexions cérébrales. Les faits se sont produits quarante ans auparavant, quand il se réveille aux côtés d’une femme décédée, assassinée, de sa main ? Il n’en a pourtant aucun souvenir ? Alors ? Geste de colère ? Ivresse ? Accident ?
"Le souvenir des choses passées n’est pas nécessairement le souvenir des choses telles qu’elles furent".
Le roman commence lors du compte à rebours supputé par la maladie, quand Fleischer se tourne vers James Cobb, un psychologue renommé et spécialiste des rêves enfouis, afin qu’il l’aide à sonder les inextricables profondeurs de son cerveau.
"Nous sommes tous amenés à faire des choix et à en assumer les conséquences jusqu’à la fin de nos jours. Josh avait opté pour la fuite afin d’assurer sa survie, parce qu’il ne savait pas encore que survivre et vivre sont deux choses différentes et qu’il n’existe pas de murs assez épais ni de serrures assez solides pour se protéger de sa propre conscience".
Le cerveau, la conscience, l’inconscience et son subconscient, la mécanique et la manipulation, sacrée machine que celle que nous abritons sous ce qui nous sert de façade à ravaler chaque matin. E.O. Chirovici ne se contente pas d’emporter un lecteur dans une quête salutaire de la vérité, il réussit à ériger une carte mentale du cerveau et de ce prodigieux moteur qui n’a pas encore révélé tous ses mystères.
La somatisation des maux laissait déjà de quoi réfléchir sur la puissance du cerveau, E.O. Chirovici dépoussière l’interprétation des rêves de Freud, de son disciple Jung et la douloureuse vérité issue de caverne de Platon. Il démocratise tout ça dans ce roman mené à la manière d’une enquête policière, à la recherche de la vérité.
A se replonger dans ses impasses mentales, à porter un nouveau regard sur ses rêveries nocturnes et ses terreurs diurnes. Bluffant.
"On dit que le temps guérit tout. Ce n’est pas vrai. Quand le malheur frappe, le temps divise son cours en deux dimensions. Dans l’une d’elle, vous continuez à vivre, du moins en apparence. Mais dans l’autre, seul existe ce moment qui vous accable, encore et encore." |