Comédie de Philipp Löhle, mise en scène de Benoît Lambert, avec Christophe Brault, Chloé Réjon et Emmanuel Vérité.
Dans un grand rectangle encadré par un rideau blanc, on découvre Gospodin, homme en tee-shirt orange, qu'on a vu en gros plan courir en vidéo sur cette structure blanche. Sa vie, apparemment banale, est quand même marquée par un fait bizarre, générateur de sa dérive sociale : Greenpeace lui a ôté la garde de son lama.
Hors du rectangle où Gospodin refuse peu à peu tous les artifices de la société post-industrielle, un homme et une femme, micro en main, commente les faits et gestes de ce moderne rebelle, de ce héros de conte moral bien démoralisé.
"Dénommé Gospodin" appartient à une trilogie écrite par Philipp Löhle, jeune auteur allemand de trente-sept ans. Benoît Lambert en a tiré un récit linéaire et déconstruit à la fois, une traversée par saynètes diverses du monde d'aujourd'hui.
Les deux commentateurs quittent de temps à autre leurs tenues de bien-pensants cyniques pour donner la réplique à Gospodin, et le confronter à divers personnages emblématiques d'une vie d'homme de ce siècle naissant.
Gospodin doit-il accepter la valeur travail, prendre en compte le pouvoir de l'argent, comprendre qu'on ne se réalise qu'en animal social ? Peut-il passer à côté de tout ça, ne pas succomber aux viles tentations, ici matérialisées par l'arrivée impromptue d'un sac rempli d'euros ? Visiblement Philipp Löhle pense que l'on peut subvertir la réalité prosaïque par un humour parfois grinçant, parfois glaçant et parfois teinté d'absurde.
Quand s'écroule le rideau blanc et qu'on découvre en arrière-plan les coulisses de ce qui, par moments, pourrait passer pour une expérience de télé-réalité, on ne peut plus prendre les aventures de Gospodin au premier degré. Et, dès lors, on est confronté à l'une des énigmes dont on ne trouve pas souvent la clé : le théâtre peut-il s'écrire et se vivre au second, voire au énième degré ? Quand on rend friable son récit en prétendant n'en être pas dupe ne risque-t-on pas à son tour de tomber dans le cynisme qu'on veut dénoncer ?
Philipp Löhle et Benoît Lambert peuvent-ils nous assurer que Thomas Bernhard ou Bertold Brecht maniaient autre chose que le premier degré ? Il y a-t-il de grandes œuvres qui ne croient pas mordicus à ce qu'elles racontent ?
On se pose la question quand Gospodin, l'homme libre, celui qui vient d'affronter et de refuser les pires éléments de la doxa dominante, revêt le costume, lui aussi orange, des prisonniers de Guantanamo et vante les joies de la vie carcérale... Et tout ça parce qu'on lui a pris "son lama" ! La soumission volontaire serait donc la subversion ultime ?
On espère ne pas avoir compris et l'on vantera plutôt les choix formels de Benoît Lambert, le travail scénographique d'Antoine Franchet.
Quant à Christophe Brault, il s'investit sans réserve dans le rôle éprouvant de Gospodin, bien secondé par Chloé Réjon et Emmanuel Vérité.
Une soirée qui a le mérite de faire réfléchir sur le théâtre et qui donne envie d'en savoir plus sur la trilogie de Philipp Löhe pour remettre "Gospodin" dans son contexte, et peut-être ainsi rendre vaines les questions que l'on vient de soulever. |