Les Songes de Léo
(Belleville Music / Edition Les Rêveurs) novembre 2015
Quand on a longtemps fait partie d’un groupe, c’est toujours difficile de passer au cap du premier album, surtout quand on est une fille, une des solution est souvent de faire un disque de chansonnettes un peu fade, dont l’une parle de Paris ou de pourquoi tu ne m’aimes plus, comme ça on est quasiment certain de rentrer dans la playlist de France Inter. Mais voilà, Morgane Imbeaud n’est pas comme ça, elle fait ce qu’elle veut quand elle veut et c’est tant mieux. Morgane Imbeaud, pour ceux qui ne le sauraient pas, était (est ?) la moitié féminine de Cocoon, elle a collaboré à plusieurs reprises avec Julien Doré, Jean-Louis Murat (Charles & Léo, Babel), mais reprenons du début, comme dans les histoires…
Il était une fois, au pays de Giscard, une jeune princesse qui justement voulait raconter une histoire, "mais comment faire ?" se dit-elle. Un bon matin, elle griffonna quelques mots dans un carnet, elle jouât quelques notes sur son piano et bientôt, ce n’est plus une histoire, disons plutôt que bientôt ce n’était plus qu’une histoire que la jeune fille venait de créer. Bon j’arrête là, la version conte de fée parce que d’une part je n’y crois pas et je ne sais pas les raconter et d’autre part, l’histoire que nous raconte Morgane n’est pas un conte de fée. La preuve, il n’y a pas de petits cochons ni de grenouilles mais Léo qui est un petit garçon félin, qui n’a qu’une seule oreille et qui à cause de cette particularité se retrouve un peu au ban de ses semblables. Un jour, ce garçon chat, rencontre une petite boule de plume qui va l’entraîner dans un voyage…
De cette histoire, Morgane va tirer un spectacle, un livre, un disque et sans doute des t-shirts et des badges. La force du projet tient en ce que le disque est parfait sans le livre ni le spectacle, le livre est magnifique sans connaître les chansons, le spectacle… est bientôt en tournée mais je n’ai que peu de doute quant à sa qualité. Bref, chaque élément se suffit à lui-même mais gagne en complémentarité à être vu, écouté, lu comme un ensemble, comme un tout.
Pour les illustrations du livre, elle a fait appel à Christophe Chabouté, auteur de bandes dessinées reconnu, notamment de Tout seul, qui a su retranscrire en image, donner corps à Léo et à l’univers autour, un univers un peu sombre mais magnifique. Elle y raconte l’histoire le plus simplement possible, laissant à chacun le soin de faire sa propre lecture. Posant les questions mais sans forcément y apporter de réponses, nous allons suivre Léo dans son périple et comprendre petit à petit de quoi il s’agit. Magnifié par les dessins de Chabouté, le récit est prenant, touchant, pour constituer au final un livre un peu mélancolique des plus charmants.
Morgane ne manque pas d’audace et c’est à l’écoute du disque tiré du livre tiré du spectacle (je ne suis pas certain de l’ordre) que l’on s’en rend réellement compte. Aidée pour les textes par Jean-Louis Murat et par Guillaume Bongiraud aux arrangements, Morgane Imbeaud livre un disque ambitieux, où la douceur va de paire avec l’émotion. Osant enfin libérer sa voix pour lui donner plus de souffle, de puissance, rappelant le travail que peut faire Emilie Simon, c’est-à-dire mélanger l’anglais et le français mais aussi mélanger la musique électronique et des arrangements plus classiques, plus pop. Il faut vraiment s’arrêter d’ailleurs sur les arrangements de Guillaume Bongiraud, sur une chanson comme "My World" ou "Je n’ai plus peur", il donne de la puissance et d’incroyables envolées dignes de Spiritualized, les rendant totalement crève-cœur.
J’imagine le désarroi de la maison de disque lorsqu’elle a présenté le projet "mais enfin mademoiselle, il n'y a pas de single ?" Non, il n’y a pas vraiment de single à part peut-être "Pardonnez-moi si je rêve", mais à la place un album concept, comme on dit, contenant une succession de chansons et d’instrumentaux (le magnifique "Ma Nature" entre autres) incroyablement maîtrisées, formant un tout cohérent et de toute beauté qui s’offre de plus le luxe de raconter une histoire sur la durée. En sachant s’entourer de personnes, d’artistes qui ont su se mettre au service de cette histoire, qui ont su la mettre en valeur, Morgane Imbeaud reste seule maîtresse à bord, elle nous permet de découvrir son imaginaire, de développer son univers. Un univers que l’on a hâte de découvrir bientôt sur scène comme le mariage parfait entre le livre et le disque.