Déjà une nouvelle lecture venant des éditions Globe, quelques jours après avoir chroniqué le dernier ouvrage d’Eric Eyre sur le scandale des opioïdes aux Etats-Unis. Et c’est encore un ouvrage qui a reçu des prix que nous proposent les éditions Globe, un ouvrage d’un auteur norvégien qui a reçu le prix de libraires norvégiens 2018 et le prix Riksma.
Dans la tradition juive, on dit qu’un être humain meurt deux fois. La première lorsque son cœur s’arrête de battre et que son cerveau s’éteint, la seconde quand son nom est prononcé pour la dernière fois. Pour lutter contre l’oubli, des "pavés de mémoire" portant chacun le nom gravé d’une victime des nazis, ont été scellés partout en Europe, en face de leur dernier domicile. L’un deux, à Trondheim, en Norvège, porte le nom de Hirsch Komissar, assassiné le 7 octobre 1942. Il était l’arrière-grand-père de l’épouse de Simon Stranger, l’auteur du livre.
En cherchant à lui rendre hommage, l’auteur découvre une histoire incroyable. La maison où s’installa le propre fils de Hirsch, Gerson, avec sa famille en 1948, est l’endroit même où Henry Oliver Rinnan, un agent double, avait installé son quartier général et une salle de torture pour les juifs et les résistants. Une villa d’une banalité à pleurer, surnommée Bandeklosteret, le "cloître de la bande".
C’est vraiment un très bel ouvrage que nous propose l’auteur norvégien qui s’engage dans une histoire éprouvante, celle de l’holocauste dans un écrit proche de l’autobiographie. L’auteur prend soin de remonter l’histoire des ancêtres de son épouse au travers de leur fuite vers la Suède tout en témoignant des ravages de l’occupation en Norvège et des crimes qui en découlent.
Mais au-delà de cela, cet ouvrage est aussi un roman qui parle de l’après génocide et de la décision surprenante de Gerson de faire le choix de s’installer dans cette maison qui servit de salle de torture, comme si c’était le moyen de tirer un trait sur son histoire, sans penser aux conséquences et aux traumatismes que cela peut porter sur les siens.
C’est enfin un roman à la construction particulièrement originale puisqu’il est construit sous la forme d’un abécédaire, donnant une forme non linéaire au roman et jouant sur les mémoires sur lesquelles se portent de nombreuses interrogations. On a l’impression que cet abécédaire est fait de telle façon à ce que le lecteur puisse recoller les différents morceaux de l’histoire qu’il lit.
Les mots ont donc une terrible importance dans cet abécédaire, dévoilant souvent des maux ayant touché cette famille juive. Ils sont souvent connectés entre eux par de nombreux liens et ouvrent à chaque fois un récit passionnant et souvent cruel.
Ce superbe ouvrage n’est pas seulement un livre sur les victimes, il est aussi un livre sur les bourreaux. Il fait le récit de la vie de Rinnan, montrant qu’il faut aussi se souvenir de ces hommes non pas pour les honorer, bien sûr, mais pour montrer comme un jeune gamin gentil a pu devenir ce bourreau. L’histoire et le récit de la vie de Rinnan montre parfaitement que cela a été une question de choix pour lui, qu’il aurait très bien pu prendre le chemin de la résistance. Au final, cela montre au passage la forte responsabilité de la police norvégienne qui a collaboré avec les nazis à l’époque pour traquer les juifs et les déporter.
N’oubliez pas leur noms est un excellent ouvrage, une chronique familiale norvégienne sur l’holocauste et sa mémoire que je vous invite fortement à lire. |