Comédie
dramatique de Arthur Schnitzler, mise en scène de Marion
Bierry, avec Vincent Heden, Alexandre Martin, Sandrine Molaro,
Serge Noel, Marie Reache, Aline Salajan et Eric Verdin.
"La Ronde" a été écrit en 1900
à Vienne par Arthur Schnitzler. C'est le thème
de la sexualité qui y est abordé à travers
plusieurs dialogues entre un homme et une femme qui ont une
relation sexuelle. Ce texte, considéré comme pornographique
à l'époque mais néanmoins succès
littéraire lors de sa publication en 1903, n'a été
monté qu'en 1921 en Allemagne.
On peut s'étonner que le thème de la sexualité
s'attire les foudres de la censure à Vienne aux débuts
du 20ème siècle. Il suffit de rappeler le rayonnement
de la grande capitale artistique et intellectuelle qu'était
Vienne à cette époque : les travaux de Sigmund
Freud ou d'Otto Rank sur la psychanalyse, les nus de Klimt ["Eaux
Mouvantes" (1898) ou "Les poissons rouges" (1902)]
ou d'Elena Luksch Makowsky ["L'adolescence" ( 1903)],
le livre d'Otto Weininger "Sexe et caractère"...
Cependant, si le texte de Schnitzler ne peut être monté,
c'est plus sûrement davantage parce qu'il bouscule l'ordre
établi et la notion de classes qu'à cause du thème
abordé. Il convient hypocritement de taire les relations
sexuelles que les maîtres peuvent avoir avec la bonne,
le comte avec l'actrice, la femme mariée avec un jeune
homme, etc... On peut les écrire, utiliser le pouvoir
de l'image au théâtre pour les montrer reste alors
choquant.
"La Ronde" est constituée de dix dialogues
entre un homme et une femme, avant l'acte sexuel (jeu de la
séduction, préliminaires...) et après l'acte.
Cette ronde commence par "la prostituée et le soldat",
puis "le soldat et la femme de chambre", "la
femme de chambre et le jeune homme", und so weiter... pour
fermer la ronde par "le comte et la prostituée".
La mise en scène de Marion Bierry illustre encore plus
cette idée de ronde en entraînant les acteurs dans
un jeu de déplacements autour de panneaux glissant sur
la scène, qui cachent ou dévoilent les corps.
Marion Bierry a décidé de légèrement
déplacer l'époque du texte dans un Vienne à
la veille de la première guerre mondiale. Cette petite
liberté lui permet de rapprocher le texte de Schnitzler
de la théorie d'Eros et de Thanatos dans "Au-delà
des principes de plaisir" de Freud, et d'illustrer cette
polarité entre Amour et Mort. Il faut préciser
que Freud avait une haute opinion de Schnitzler comme connaisseur
de la nature humaine ("J'ai ainsi l'impression que vous
saviez intuitivement, ou plutôt par suite d'une auto-observation
subtile, tout ce que j'ai découvert à l'aide d'un
laborieux travail pratiqué sur autrui." Correspondance
de Sigmund Freud - lettre du 14 mai 1922). En effet, Schnitzler
décrivait l'époque en une attitude impressionniste,
tandis que Freud tirait ses théories de l'analyse du
style et de la conception de la vie qui prévalaient chez
ses patients viennois à la fin du 19ème siècle,
début du 20ème.
Les acteurs sont tous très bons. Parfois amenés
à se dénuder, ils restent cependant toujours dans
le ton juste. Il faut préciser que la mise en scène
montre sans exhiber, le texte de Schnitzler ne met pas en scène
l'acte sexuel. Lorsque celui-ci est toutefois parfois mimé,
derrière des draps par exemple, il est souvent accompagné
de chants, qui outre déminent la charge érotique
de la scène, mais renforcent le propos de Schnitzler
qui voit dans l'ivresse, dans l'action ou dans le sexe, un bonheur
lié à l'instant. La chanson "Heimat"
(la patrie ou la maison; l'endroit où on est chez soi),
interprétée avec un joli brin de voix par Vincent
Heden, s'inscrit dans cette idée tout en étant
particulièrement amusante.
Il faut aussi saluer la performance d'Eric Verdin, travesti
dans le rôle de l'actrice, amante du poète et du
comte. Sa tenue rappelle à la fois une affiche de Mucha
pour une pièce de Sarah Bernhardt et la fameuse toile
de Klimt "Pallas Athene".
On se souviendra aussi longtemps de la scène de lit,
entre le mari et la femme (Eric Verdin et Sandrine Molaro),
et la gestuelle des acteurs, debout face au public mais bougeant
comme s'ils étaient allongés, un oreiller collé
au mur derrière leur tête.
Cette pièce atteint donc un bel équilibre entre
plaisir, détente, réflexion sur la nature humaine
et références historiques et artistiques, entre
jeux d'esprit et plaisirs de la chair. |