Eudeline, un nom si magique à mes oreilles. Comment parler de l'album de l'un de mes héros, un mentor même. L'histoire commune que j'ai avec cet homme, ou plus précisément mon parcours personnel, il serait plus honnête de la raconter.
Avouer ce qu'il est pour moi... n'est pas une chose simple. Je me grillerais directement, dévoilerais tout mon fonctionnement. Oui, c'est chez lui que j'ai appris cette écriture si particulière, lui et Boris Vian.
Alors tous mes systématismes avec ces phrases cassées, les '"ni plus ni moins", la thématique de la blessure... même les points de suspension qui gisent ici et là. Eudeline est tout cela, c'est un homme qui semble s'être constitué du rock même. Tout chez lui est un enchantement, un objet de fascination : sa démarche, son look, sa voix, tout ce qui rend un homme identifiable.
Alors Eudeline est fidèle à lui même. Cet album peut sembler inattendu. Il est tout d'abord surprenant. L'orchestration nous perd complètement : tous ces violons et ces grandes orgues, le tempo lent, ce n'est pas ce que l'on pouvait attendre du plus vieux punk français. Même cette grandiloquence dans la voix, le coté poète décadent. C'est une voix qui n'en finit plus de trébucher, plus prés du sol, le sol où l'on meurt.
Quand on demande à Eudeline de définir sa musique, il répond "Cabaret blues gothique". Cabaret certes, pour son côté exhibons le pire de ce qu'il y a chez l'homme, les bizarreries et la difformité. Pour le coup, des faiblesses on en a. Puis blues car c'est les pieds dans la boue que l'on peut le mieux s'adresser aux cieux. Un homme qui croule sous toute la misère de sa condition, qui contient toutes les obsessions de son époque, celui -ci est le plus apte à chanter le blues. Cet album tente d'exorciser de vieux démons, de calmer de trop grandes angoisses.
Tout y passe : vieillir, mourir, se droguer, boire, penser, plaire et aimer. Puis tomber dans l'oubli, comme le nord tiens... la grande oubliée de la première révolution industrielle. Alors il nous reste gothique. Le lien entre blues, gospel et gothique se fait presque naturellement. Quand une musique mélange référence religieuse et les turpitudes humaines, on crée du gothique. De Robert Johnson à Marylin Manson, ce sont les mêmes ingrédients, le même côté dérangeant.
Alors cet album est sidérant. Son univers va de la pop sixtee's comme "Agneau Glacé", du blues de "Montevideo", de la chanson à boire "Let's Drink", jusqu'à un final en bouquet : le folk de "Sunday Marine". Ma préférée, de loin. Il y a encore cette phrase d'Eudeline :"Jouer seul avec sa guitare, c'est un truc de gladiateur."
"Sunday Marine" c'est raconter son pays dans une chanson, soit tout ce que faisaient Woody Guthrie, Leadbelly, Von Ronk, puis bien sûr Dylan et Neil Young... Sunday Marine a l'envergure d'un "Mister Tambourine Man", pourrait devenir un classique comme "House of Rising Sun". C'est une chanson qui colle à la peau, à laquelle on pense en marchant, ou qui fait pleurer... de celles qui méritent de rester dans l'histoire et d'être reprises à tout va.
Mais Eudeline n'entrera jamais dans l'inconscient collectif. Pour cela il faudrait qu'on aime la voix dès les premières paroles, que l'on comprenne les chansons dès la première écoute. Ce n'est pas le cas. Il faut entrer dans cet album comme on entre chez quelqu'un : s'essuyer les pieds, trouver une place où s'asseoir puis observer les coutumes de la maison. Ce disque est statique, il n'est pas fait pour le voyage ni pour la voiture. C'est une invitation à rester chez soi, à approfondir son propre univers, son Moi profond.
Alors on m'a posé une question terrible : Aimerait-on cet album s'il n'était pas de lui ?. Je pense que l'on ne pourrait pas l'aimer autant. Ces chansons sont indissociables de l'artiste qu'est Eudeline, de sa vie ainsi que ses grandeurs et ses failles. Plusieurs détestent, sont déçus, d'autres adorent ou y ont vu une véritable révélation.
Quant à moi, je suis tout simplement ému car Patrick Eudeline a réussi à faire un album rare, une petite perle anonyme qui se cache derrière ces milliers de merdes qui sortent toutes les semaines. Mauvaise Etoile est comme un beau livre, du genre "Blues pour un Chat Noir" de Vian, un truc qui passe inaperçu mais qui une fois ouvert vous aspire dans son monde. C'est ce genre de romans qui sont au fond à gauche dans les bibliothèques, ceux qui deviennent de vraies expériences.
Cachons cet album sous nos lits, il nous obsèdera que plus, nous filera cauchemar et rêve. Oublions le pour mieux le redécouvrir. |