Comédie de Anthony Shaffer, mise en scène de Antonio Labati, avec Laurence Baxter, Antonio Labati, Yvan Lambert, Michel Quayle et Olivier Walbran.

Antonio Labati a eu la bonne idée de remettre sur les planches une excellente pièce policière, due à la plume du dramaturge anglais Anthony Shaffer ,qui a connu son apothéose en étant portée au cinéma, dès sa création, par Joseph L. Mankiewicz avec Laurence Olivier et Michael Caine dans les deux rôles principaux.

"Le limier", pièce modèle du genre whodunit aux dialogues ciselés, repose sur un huis clos à la fois ludique et machiavélique qui navigue toujours de manière incertaine entre comédie et drame et dans lequel l'ironie, l'humour, la cruauté et l'ambiguïté font l'objet d'un savant dosage homéopathique pour soutenir une intrigue qui repose, outre sur une inattendue déclinaison du fameux trio du vaudeville dans laquelle, au demeurant, le rapport entre les deux caractères masculins ne sont pas sans évoquer celui des personnages d'une comédie de Labiche "Le plus heureux des trois", sur le double, voire triple jeu, avec le spectateur.

Le mari, vieil aristocrate anglais fortuné et flamboyant, auteur de roman policier à l'anglaise, naturellement, style arsenic et vieilles dentelles, et adepte des jeux de l'esprit qui sont désormais les seuls à le faire vibrer, propose à l'amant coiffeur-acteur italo-anglais désargenté de sa jeune épouse dépensière, qu'il ne souhaite pas voir réintégrer le domicile conjugal, un étrange marché "pour solde de tout compte".

De manière intelligente et réussie, Antonio Labati signe une adaptation resserrée sur la mécanique policière en forme de "jeu, set et match", titre sous lequel cette pièce avait été créée en France, sans négliger pour autant l'ambiguïté, à plus d'un titre, de la relation qui se noue entre les deux personnages, de la confrontation socio-politique au duel ludique en passant par la stratégie sado-masochiste de l'humiliation.

Sur scène, toute l'action se déroulant dans un salon confortable, Antonio Labati, qui signe également une mise en scène ad hoc combinant habilement l'intensité verbale et statique du duel psychologique et une dynamique de jeu cinétique, interprète parfaitement le rôle de l'amant à qui il instille la crânerie revancharde du fils d'émigré en quête de reconnaissance et la subtilité madrée de ceux habitués au combat de la vie.

Dans ce face-à-face échiquéen, Yvan Lambert, crinière blanche, allure de gentleman farmer du 21ème siècle tout de blanc vêtu, est impérial dans l'incarnation de la civilité obséquieuse et de la policée xénophobie de classe qui sait se faire patelin pour garder la main et être le maître de jeu d'une passe d'armes aux allures de singulière murder party.

Le duo constitué par ces deux excellents comédiens rompus à la scène fonctionne au quart de tour et capte immédiatement l'attention du spectateur qui est happé dans cet univers contaminant du jeu en abîme.