Comédie de Robert de Flers et Francis de Croisset, mise en scène de Priscilla Caroni et Julien Bonnet, avec Jean-Paul Debout, Priscilla Caroni, Julien Bonnet, Delphine André, Charlotte d'Ornellas, Pierre Girard, Charlotte Le Bozec et Côme de Vannoise
Priscilla Caroni et Julien Bonnet ont eu une triple bonne idée, d'une part, en ressuscitant une délicieuse comédie du théâtre de boulevard des Années Folles.
D'autre part, en exhumant non pas un opus de Sacha Guitry, tête de gondole qui a traversé le siècle et a été abondamment joué ces dernières saisons, mais "Les vignes du Seigneur" de Robert de Flers et Francis de Croisset dont la plume est empreinte d'une virtuosité analogue dans l'écriture de dialogues nourris de traits d'esprit tout en usant des gros ressorts du vaudeville.
Enfin, assurant la mise en scène, ils servent la pièce "dans son jus" ce qui est judicieux dans la mesure où elle épingle, avec un humour polissé et une affable ironie, des moeurs contextualisées.
Madame Bourjeon, qui veut passer de l'annuaire des téléphones au bottin mondain et faire accéder sa famille à la respectabilité bourgeoise, entreprend de marier sa fille cadette à un homme qui a du "bien" et qui, orphelin et pochard repenti, ne serait pas trop regardant quant à l'arbre généalogique de sa future épouse.
En effet, pour elle qui n'a eu que des maris morganatiques et dont la fille aînée est mariée "de la main gauche" à un petit bourgeois qui aspire à la noblesse pour laquelle il s'est déjà inventé une particule et un titre, "être bourgeoise, c'est être mariée".
A travers cette intrigue classique, les auteurs se livrent à une critique sociale jubilatoire et impertinente sur l'adultère, le mariage, le snobisme et l'amoralité bourgeoise portée par de savoureux personnages dont la sottise et la vacuité donnent une belle matière de jeu.
Sur scène, les comédiens, tous issus du cours Jean-Laurent Cochet et bien distribués, s'emparent avec délectation de cette machine à rires et livrent un jeu choral qui ne verse jamais ni dans le comique trop appuyé ni dans le numéro d'acteur.
La "famille" est irrésistible : Priscilla Caroni, désopilante en mère entremetteuse "en train de devenir bourgeoise" obsédée par le mariage et la reconnaissance sociale, Delphine André, délicieuse en femme entretenue alanguie dans une mélancolie cynique et passée maître dans le sarcasme, Julien Bonnet, parfait en rentier vaniteux "en train de devenir noble" qui se gargarise de sa propre bêtise, Charlotte d'Ornellas remarquable en jeune fille sensée qui ne veut pas "se caser" à tout prix, et Charlotte Le Bozec irrésistible en tante "fofolle", veuve d'un médecin militaire qui serait encore vivant s'il n'avait pas voulu se soigner lui-même et "folle" de casino troublée par les croupiers.
Côme de Vannoiseest impertubable en domestique, Pierre Girard efficace en sportsman anglais qui dénoue l'intrigue en mettant les pieds dans le plat et Jean-Paul Debout absolument épatant, notamment dans la fameuse scène d'ivresse, en bonhomme manipulé par tous, rôle qui lui donne l'occasion, en évitant la caricature y préférant le loufoque, de montrer une belle palette de jeu.
La partition est rondement menée et le divertissement assuré. Alors ne boudez pas ce plaisir. |