Monologue dramatique d'après
le récit éponyme de Svetlana Alexievitch conçu et interprété par Cécile Canal.
S'il est un spectacle à Paris, étrange, envoûtant, immanquable, c'est bien celui-là.
1941. L'assaut allemand submerge la Russie soviétique. On manque d'hommes. Le Parti décide, fidèle à son idéologie de non-différenciation des sexes, d'affecter désormais des femmes à des postes exposés, aviation, char, et pour ce faire, des milliers de jeunes filles sont tondues, habillées en homme et jetées au combat, risquant, le jour, la mitraille et, la nuit, la convoitise de pauvres bougres privés de sensualité.
Après la guerre, la journaliste Svetlana Alexievitch, d'origine biélorusse, recueillera les témoignages de ces patriotes en diable, pourtant "malgré elles" (car elles ne savaient pas vraiment ce qui les attendait), qui ont perdu toute féminité, n'ont plus été réglées et, pour certaines, n'ont jamais pu être mère après. Mais qui se souviennent, ont aimé, ont plaint, ont pleuré, ont tenu, ont relevé, en vraies femmes.
Plongeant dans cet ouvrage, Cécile Canal a conçu cette pièce, au genre indéfinissable: pas un "seul-en-scène" puisque des dizaines de femmes défilent, par le talent de la comédienne: il y aurait du religieux, de l'incantatoire, de la cérémonie dans ce spectacle.
Cécile Canal est hallucinante : il y a de la Zouc en elle, elle se transforme en grand-mère, en jeune fille, en "grisette" de Rostov-sur-le-Don, en fermière, en vieille fille émouvante, et le canon de tonner, et les avions de déverser la mort, et le linge d'être étendu, et le peigne de lisser les cheveux repoussés, avec les blés, dans un après-guerre de promesses et de souvenirs.
Sourires, larmes, images précises, dans l'ombre et la lumière - si finement conçue par Elias Attig, vrai artiste - le public vit cette heure, plongé dans son intériorité, remué, bouleversé, avant de se libérer par ses applaudissements-remerciements.
Un seul regret : le titre, fidèlement conservé, "La guerre n'a pas un visage de femme", qui trahit quelque peu son sujet. Car Cécile Canal montre que la guerre peut avoir un visage de femme, ce qui est évident, et que ce visage reflète l'humanité blessée, sans distinction de sexe, par le Mal qui dormait, pour quelques années, au fond d'un volcan.
Superbe veillée, auprès d'un feu qui serait la conscience, à écouter la conteuse : allez-y tendre vos mains. |