Monologue dramatique de texte Samuel Beckett interprété par Denis Lavant dans une mise en scène de Jacques Osinski.
Après "Cap au pire", le duo beckettien Jacques Osinski et Denis Lavant se reforme pour une nouvelle leçon théâtrale touchée par la grâce avec "La dernière bande".
Tout commence par un long silence. Assis derrière un bureau où trône un magnétophone d'antan et quelques cartons d'archive d'avant antan, Denis Lavant respecte le long silence des didascalies beckettiennes.
Il le perturbe d'un petit gémissement quand il sent qu'il doit se lever pour ouvrir l'un des tiroirs du bureau placés face au public - contre toute logique administrative - et en sortir une banane. Commencer à la manger après l'avoir clownesquement caressée et épluchée lui prendra le temps nécessaire qu'il faudra.
Jacques Osinski dit s'être souvenu de "Film", le court-métrage écrit en 1965 par Samuel Beckett et dans lequel Buster Keaton se balançait sur un rocking-chair. Et l'on comprend mieux qu'ici Lavant est aussi un acteur du muet... qui va finir, de guerre lasse et par nécessité théâtrale, par parler. Il s'écoutera beaucoup parler off quand la bande magnétique enfin démarrera et ne fera finalement que la répéter ou la paraphraser quand il prendra enfin la parole.
Dialectique entre le silence et les mots, entre une vie qui se rejoue au hasard de la "bobine" magnétique sortie d'une "boîte" et la mémoire d'un quasi vieillard. Aujourd'hui, pour son pèlerinage annuel dans ses souvenirs enregistrés, Krapp, écrivain clochardisé presque septuagénaire, se penche sur la bobine 5 de la boîte 3.
De ce "monodrame" très court, écrit en anglais pour le grand acteur nord-irlandais Patrick Magee (Krapp's Last Tape) et traduit par Beckett lui-même, Jacques Osinski tire l'équivalent d'une pièce entière sans qu'on ressente une quelconque dilatation temporelle.
Comme dans "Film", il pourrait n'y avoir ni début ni fin. Lavant pourrait appuyer éternellement sur cette bande qui tourne et s'arrête de tourner au hasard de la volonté mécanique de son doigt, s'il n'avait soudain l'envie de tout bazarder de ne laisser sur son bureau que le magnétophone, seul, sans bande, inutile objet d'une mémoire soudain inutile.
Aucune affectation, aucun surjeu, aucun besoin de prouver quelque chose de plus que ce que le texte lui demande de prouver : Denis Lavant n'est peut-être même pas encore au sommet de son art. Il lui en reste sans doute encore sous la pédale, celle des expériences qu'il vivra sur scène ou dans sa vie pour être dans une bonne dizaine d'années totalement synchro avec l'âge voulu par Beckett pour être Krapp.
Le mot "expérience" vaut aussi pour le public capturé par un texte minimal dont chaque mot entendu fait sens. Chaque spectateur conquis sera emporté par le texte si bien porté par le comédien et son metteur en scène.
Un régal pour celui qui veut comprendre ce qu'a d'unique l'art théâtral. |