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Patrick Eudeline  (Editions Grasset)  mai 2009

D’emblée, la dédicace "pour Alain Kan" nous a fait saliver : paru dans la collection Ceci N’est Pas Un Fait Divers (chez Grasset), le résumé du nouveau Patrick Eudeline pouvait laisser croire à une biographie déguisée de ce mythe obscur du rock’n’roll français… dont on a beaucoup reparlé ces derniers temps, à l’occasion de commémorations flirtant avec la série noire.

Aspirant yéyé, décadent notoire, précurseur indubitable du punk… censuré sous Giscard pour sexe, drogue et flirt avec la provoc’ nazillarde grand guignol… Alain Kan doit une part de sa "notoriété" à sa disparition soudaine, jamais véritablement éclaircie : faux suicide ? Véritable assassinat ? Largage d’amarres azimuté ? Un récent documentaire d’investigation, produit par l’über-médiatique Karl Zéro, s’est encore perdu en conjectures à son sujet sans parvenir à percer le mystère…

Dieu merci, derrière cette anecdote morbide se cache aussi une œuvre d’une modernité folle, (trop) longtemps demeurée au purgatoire du rock d’ici. Eux aussi "portés disparus" (vinyles hors de prix, rares copies circulant sous le manteau), les albums de l’artiste ont été redécouverts l’an dernier grâce à la publication d’un somptueux coffret 3 CD chez Dreyfus-Motors, compilé-annoté par Christian Eudeline (journaliste et frangin de…). Compagnon de route de l’aventure punk française (avec les Gazolines), Alain Kan eut en effet l’occasion de croiser le fer avec le Patrick en question (leader d’Asphalt Jungle, éminence grise du mouvement), ce qui explique cette connexion textuelle et l’intrigante dédicace.

Traversée des années 60/70 branchées, gueule de bois 80’s et disparition subséquente dans la nature : la trame du roman présente effectivement quelques similitudes avec la trajectoire de cet improbable rockeur. Pour autant, tout n’est pas si simple, et l’auteur de Gonzo ou Dansons Sous Les Bombes a un imaginaire (et un ego !) suffisamment costauds pour ne pas se contenter de tourner autour d’un fait divers, aussi frappant soit-il. Le livre ne ressert donc pas un destin déjà écrit, mais s’inspire de la figure d’Alan Kan pour quelques grandes lignes. Le reste appartient à la littérature, donc à la fiction.

Encore faut-il s’entendre sur ce terme de "fiction" : sous la plume de Patrick Eudeline, il n’y a pas d’histoire nouvelle à proprement parler, mais agrégat d’anecdotes et légendes, souvenirs réels ou mythomanies personnelles… Tout un tissu d’obsessions récurrentes (le rock, le style, la décadence, les filles), qui complètent et affinent toujours un peu plus ce qu’il avait déjà développé dans ses chansons, articles ou bouquins précédents.

Ici, l’histoire est celle d’un jeune homme prénommé Jérôme, cachant son extraction populaire sous l’aspect du minet branché, entre Bande Du Drugstore (François Armanet/Christophe, beau-frère d’Alain K) et Mods (Axelle Ropert, les plus émouvants grains de beauté du cinéma français)… fidèle à l’esprit de tribu (la classe en guise d’uniforme) et une certaine idée du rock lorgnant sur l’Angleterre, bien loin des franchouillardises à la Mitchell/Rivers.

Un beau jour, il a enfin l’occasion d’enregistrer un disque et marcher (peut-être) sur les traces du maître Ronnie Bird… Mais la chape de plomb du business français modère vite ses ardeurs : lui imposant un répertoire sucré ridicule, il met à mal les velléités classieuses du jeune loup, l’empêchant de produire la musique dont il rêve. Ecoeuré, Jérôme réussit tout de même à placer sa chanson fétiche ("Morceau de Sucre") en face B d’un 45 tours trop commercial, unique titre de gloire qui lui vaudra d’être repêché parmi les classiques oubliés des 60’s, sur les compilations d’adeptes du genre (type "Pop à Paris").

Il surnage alors quelques temps dans le milieu, avant de disparaître une première fois. S’ensuivent quantité de come-backs plus ou moins calamiteux, en tant que chanteur ou producteur, endossant diverses panoplies (décadent, protopunk, néo-disco) avec un éternel train de retard sur le succès. Toute sa carrière sera ainsi faite de (trop) brefs éclairs de génie, oblitérés par une image has-been impossible à effacer.

Comme pour Dansons sous les bombes (qui retraçait le parcours calamiteux d’un producteur à l’affût d’un succès facile et d’une chanteuse sur le retour tentant son dernier coup), ce nouveau roman est l’occasion d’une charge caustique contre le milieu musical français. L’incompétence se situe à tous les niveaux, et les musiciens audacieux ont bien du mal à s’imposer, dans un univers de tradition "variétoche", où la notion de rock’n’roll semble se limiter à quelques souvenirs de Hallyday’64, guère plus…

Dans un tel univers, les espoirs de transgression sont limités, et la frustration inévitable. Pour accompagner Jérôme dans sa descente, Eudeline a inventé les personnages de Chouraqui, Juif d’Afrique du Nord qui réussira dans les affaires (en ayant mis sous boisseau son rêve de jeunesse rock)… Et Gudule, copine de la bande devenue peu à peu égérie du milieu branché friqué, avant d’en connaître les revers : poudre, perversions et jeux tarifés, tout juste bons à alimenter un peu plus le vague à l’âme…

Les portraits de ces deux-là constituent peut-être les plus belles pages de ce livre : la jeune femme est un condensé de pas mal de monde (on reconnaît notamment Zouzou la twisteuse et Tina Aumont, à qui l’ouvrage est aussi dédié), mais l’auteur parvient à en faire un véritable personnage, ne se contente pas de la dépeindre en oiseau de nuit fracassé, mais lui offre une vraie profondeur. Quant à l’ami dévoué devenu richissime homme d’affaires, il vit par procuration en cultivant la mémoire de son ami envolé : belles pages sur le dégoût de soi et la vacuité de la réussite pécuniaire, opposées à la flamboyance d’une existence rock.

Le personnage de Jérôme, en revanche, s’étiole à mesure que progresse le roman : la description de ses débuts (années 60) est réussie, beau portrait sociétal d’une jeunesse aux rêves immenses engoncés dans le marasme d’un tout petit pays. L’ouvrage aurait sans doute dû s’arrêter à cette époque fascinante, sur laquelle il y avait tant à écrire.

Au lieu de ça, Eudeline lui fait traverser de nombreuses périodes et rebondissements artistiques (s’inspirant d’Alain Kan, on l’a dit, mais aussi de Christophe ou d’Eric Charden). Tout va trop vite, et le héros devient trop composite pour être crédible. Si l’histoire parvient encore à nous toucher, c’est qu’elle est vue à travers le prisme (réaliste, lui) du fidèle Chouraqui, retrouvant finalement son camarade de jeunesse, pour un ultime comeback qui sombre dans le pathétique.

Ces réserves exprimées, on prend quand même beaucoup de plaisir à la lecture de l’ouvrage, qui prolonge de manière appréciable toutes les thématiques eudeliniennes déjà connues. Sans faire injure à son auteur, on peut dire qu’il se situe plus dans la continuité des (excellentes) chroniques publiées chaque mois par Rock & Folk, que dans la pure littérature. En somme, plus proche de son beau recueil d’articles (Gonzo) que d’une tentative esthétique ambitieuse, comme avait pu l’être son premier roman (Ce Siècle Aura Ta Peau, road-movie trash écrit dans une langue précieuse et habitée).

 

A lire aussi sur Froggy's Delight :

La chronique de l'album Mauvaise étoile de Patrick Eudeline
L'interview de Patrick Eudeline - première partie (13 mars 2006)
L'interview de Patrick Eudeline - deuxième partie (13 mars 2006)

La chronique de "Bowie, L'autre histoire" du même auteur

En savoir plus :
Le Facebook de Patrick Eudeline


Nicolas Brulebois         
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