Comédie
dramatique écrite et mise en scène par Jean-Luc
Jeener, avec Alexandre Berdat, Emmanuel Desgrées du Lou,
Benoît Dugas, Laurence Hétier, Fethi Maayoufi et
Ali Marhyar (1er volet), Emmanuel Desgrées du Lou, Paule
d’Herla, Benoît Dugas, Laurence Hétier, et
Fethi Maayoufi (2ème volet).
Dans le cadre du Cycle "Des prisons et des hommes", Jean-Luc Jeener met en scène
sa dernière pièce en date
"Négationnisme". Conçue en diptyque, avec deux volets intitulés "La loi" et "La
grâce", inscrite dans le registre
du théâtre politique, engagé et chrétien pratiqué par son auteur, homme de foi et de
conviction, elle aborde, avec une grande acuité, les conséquences déflagratoires des
thèses négationnistes de faits historiques avérés dont celle relative à l'Holocauste a
conduit au vote de la loi Gayssot instituant une nouvelle catégorie de loi, la loi
mémorielle, qui déclare le point de vue officiel d'un État sur des événements
historiques en déployant de surcroît l'arsenal pénal. Loi qui a suscité, et suscite
encore, non seulement des débats passionnels mais également des demandes pour
sacraliser le malheur d'autres populations ayant subi des génocides.
Tout commence, pour le spectateur, par l'enlèvement d'un médecin par les deux
hommes de main, un débile (Ali Marhyar) et
un tortionnaire (Emmanuel Desgrées du Loû), d'un
terroriste musulman, très impressionnant Fethi
Maayoufi) qui a déjà enlevé un citoyen ordinaire d'origine juive qui lui sert
d'otage pour obtenir une rançon, à distribuer aux communes défavorisées de la
banlieue parisienne, et surtout l'abrogation de la loi Gayssot qu'il considère comme
une loi juive pour les juifs destinée à victimiser le peuple juif pour justifier l'esclavage
du peuple palestinien pratiqué par Israel. Comme le gouvernement français
tarde à lui donner satisfaction et que l'otage juif n'est pas coopératif, il décide de
l'amputer d'un doigt pour manifester sa détermination et accélérer les négociations
en prenant comme intercesseur forcée une députée (Laurence
Hétier remarquable).
Mais ce médecin (Benoît Dugas sobre et convaincant),
homme de bonne volonté et citoyen éclairé, engage la discussion et la polémique
avec le kidnappeur non seulement gagner du temps mais également, et, malgré les
menaces qui pèsent sur lui, comprendre sa motivation. Dans le deuxième
volet, après un dénouement heureux de la situation pour les otages et la
condamnation des criminels, le médecin et la députée organisent une rencontre entre
le responsable principal et une résistante (Paule D'Heria
troublante de sérénité et d'humanité) qui a été déportée pour lui démontrer la réalité
des camps d'extermination et la véritable portée de la fameuse loi Gayssot.
Dans ce cadre, l'échange qui en résulte montre comment, par l'enchaînement de
spécieux raisonnements par analogie, une mesure censée régler un problème peut
avoir un terrible effet "retour de flammes". Négationnisme et révisionnisme, les limites de la liberté d'expression, le rôle de l'Etat et l'Histoire, le "clientélisme" de la loi mémorielle, la Shoah massacre banal en temps de guerre comme il y en a eu depuis l'aube de l'humanité ou unicité de l'Holocauste parce résultant d'une organisation planifiée et d'une exécution quasi-industrielle du massacre avant même l'entrée en guerre de l'Allemagne, la religion comme moyen de se démarquer, le terrorisme pratiqué par des individus qui se déclarent en guerre ("je fais la guerre : c'est noble et romantique et ça m'exalte plus que d'avoir un travail de merde"), le peuple juif peuple "élu" comme supérieur aux autres ou peuple "choisi" par Dieu pour porter une révélation que les autres peuples déclineront ensuite, l'identité nationale sont au coeur de cet affrontement et alimentent les haines.
De quoi, pour le moins, secouer violemment le spectateur. Dans la deuxième partie, Jean-Luc Jeener, homme de foi en Dieu mais également en l'homme - un fou, un monstre, un criminel est néanmoins un homme - est convaincu que la haine de l'autre est toujours une peur et non une question de foi et prône la tolérance face à l'autre même en face de ce qu'il a de pire pour y trouver ce qu'il a de meilleur, car l'homme est accessible à la rédemption. Une analyse à rapprocher de la problématique du miroir utilisée par le philosophe Vladimir Jankélevitch dans son analyse du génocide juif et de l'antisémitisme nazi. Portés par des comédiens investis, dont Fethi Maayoufi dans le rôle principal, ce spectacle est d'une rare intelligence pour porter des débats qui n'ont pas fini de défrayer la chronique et démontre que la violence comme sa répression n'éradiquent pas la haine que seule la pédagogie et l'explication peuvent enrayer.
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