Comédie dramatique de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Samuel Theis, avec Sandrine Attard, Aymeric Lecerf, Pauline Moulène, Marie-Bénédicte Roy, Samuel Theis et les enfants Laura Genovivo et Gabriel Baillot.
Sélectionné pour le Prix Jeunes metteurs en scène 2011 du Théâtre 13, Samuel Theis a fait un choix à risques avec un des plus beaux opus de Jean-Luc Lagarce, au verbe aussi simple que travaillé et donc complexe, et de surcroît très souvent présenté depuis que la notoriété posthume a succédé à la frilosité rencontrée de son vivant.
Entrée au répertoire de la Comédie Française et inscrite au programme de l'agrégation de lettres pour la session 2012, la partition superbe et complexe de "Juste la fin du monde", pièce-paysage composée de micro-actions et ponctuée de hiatus narratifs, à l’instar, des réminiscences mnésiques, décline, sous la forme d’un voyage testamentaire, la thématique de l'enfant prodigue et de la solitude absolue à laquelle est voué l’homme, même au sein de la cellule familiale, et qui se heurte à la nécessité de la parole, de l’acte de parole comme force vitale et créatrice.
Alors que ses jours sont comptés, Louis, le fils solitaire, l’enfant frondeur, l’intellectuel qui se veut électron libre dans l'univers, vient rendre une ultime visite à sa famille après des années d’éloignement. Comme un passant, un invité, presque un étranger. Peut-être pour dire que le fil, qu’il a maintenu avec de simples cartes postales, n’a jamais été rompu. Mais il ne dira rien face aux siens pour qui sa présence, catalyseur d'une catharsis émotionnelle, ne suffit pas libérer vraiment leur parole.
Tout en s’inscrivant dans la conception de Jean-luc Lagarce ("Le réel c’est quand on sait qu’on est au théâtre") et mettant en exergue les deux points d'ancrage de la pièce que sont la non authenticité des relations, pour laquelle celui-ci utilise le terme de "tricherie", et l'enfance perdue, il a trouvé la note juste pour cette partition qui navigue dans un entre-deux, entre la distanciation et le naturalisme, comme le personnage principal encore vivant mais n'appartenant déjà plus à ce monde.
Et surtout, alors qu'il joue lui-même le rôle du fils-narrateur, il s'est entouré de comédiens tout à fait remarquables qui sont dirigés avec une belle rigueur : Marie-Bénédicte Roy, la mère veuve qui ne veut se souvenir que des jours heureux, Pauline Moulène, la petite soeur qui aurait voulu connaître ce frère parti trop tôt, Aymeric Lecerf, le cadet qui n'a pas fait son deuil de leur enfance à couteaux tirés et Pauline Moulène, la belle soeur résignée.
Dans un décor simple conçu par Myriam Rose et Tiphaine Monroty qui joue également sur une dualité, un plateau noir traversé d'une coulée grise, et quelques meubles vintage des années 60, ils rendent, par leur interprétation incarnée et sensible, et sans verser dans le mélodrame familial, les personnages vivants dans un présent immédiat et insaisissable où chaque instant partagé, bien que la parole ne parvienne jamais au dire et à traduire l'exactitude du ressenti, manifeste une affection indicible.
Un beau travail également sur les silences qui valent en l'espèce
comme les pauses en musique et qui créent également de vrais moments de grâce.
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