Avec "Ce sera ma vie parfaite", après "Les insomniaques", premier roman remarqué retraçant la saga d'une famille de la noblesse française d'Ancien Régime à particule, Camille de Villeneuve poursuit sa recension des splendeurs et misères des aristicrates avec la chronique de la mort annoncée du dernier descendant mâle d'une famille à particule.
Dans son ancestral château du Sancerrois, Victor des Ulmières, soliloque sur ce qu'a été sa vie qu'il résume à un mot : "Ma vie fut un néant". Au terme de ce qu'il nomme "les ressassements de mon esprit sulfureux" et d'une fête morbide à laquelle il a convié des artistes danseurs et musiciens de sa connaissance ignorant tout de son dessein, cet octogénaire procédera à sa propre mise au tombeau selon un cérémonial occulte en s'enfermant vivant dans le sépulcre de ses ancêtres.
Une décision qu'il déclare motivée par la haine d'un jeune homme, une haine meurtrière qui l'a déjà conduit à commettre plusieurs tentatives infructueuses d'assassinat. Or, ce jeune homme se trouve être son fils naturel né d'une liaison avec la femme d'un de ses ouvriers dont il voulait faire son héritier, et qui, s'il ignore cette filiation non reconnue, le tient pour responsable de l'adultère de sa mère et de la mort de son père mort dans un accident de travail.
Comme son récit autobiographique voguant au gré de résurgences mnésiques non chronologiques et à la connotation de confession laïque sans autocritique ni repentir ni quête d'absolution, l'évocation de sa mort programmée intervient sans pathos ni affect.
Il ne s'agit que d'exécuter une décision mûrement réfléchie et assumée au crépuscule d'une vie qui, à travers sa propre consignation, paraît avoir été désincarnée et vide de sens ("La vie était une chimère magnifique, pour rien"). Peut-être, nonobstant le paradoxe apparent, son seul projet de vie.
Le personnage sans amour ("Je n'ai aimé personne durablement et personne ne m'a aimé durablement"), sans ami ("Je n'ai pas d'amis par ma faute"), figure à la Gabriel Mazneff à la bisexualité jeuniste ("A soixante ans je n'ai plus voulu que de très jeunes filles") n'est pas empathique et l'écriture distanciée, et également désincarnée, de Camille de Villeneuve, n'y aide pas.
Et cependant l'homme à "l'âme trop chargé de cadavres" est douloureux : un caractère nerveux et insomniaque, un père, grande figure de la Résistance, qui le détestait et, qui lui préférait son jeune frère né d'une grossesse tardive par accident ("Mon père vit en lui plus qu'un héritier, un héros à sa mesure"), une mère peu démonstrative, une enfance entre l'univers incongru d'un pensionnat pour filles et les villes d'eau qu'écumaient sa mère tuberculeuse et une adolescence quasi-incestueuse dans les jupes d'une sœur aînée ont structuré une solitude névrotique.
Ce roman à l'intrigue atypique et à l'écriture dégraissée jusqu'à l'os déconcerte tant par la psychologie du protagoniste-narrateur que par son apparent détachement face à la néantisation qui intrigue ("C'est un réconfort d'éprouver en ce monde ce que peut être la mort et de découvrir qu'elle est la vie pleine").
En fait, sa dimension ne peut être appréhendée qu'à la lumière du concept mystique auquel se réfère le titre du roman, celui de "la vie parfaite", avec une réclusion métaphore de la clôture religieuse qui conduirait à la "vraie vie", celle sans attente ni manque.
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