Textes de Samuel Beckett dits par Lisa Dwan dan sune mise en scène de Walter Asmus.
Véritable performance, "not i/footfalls/rockaby" rassemble trois monologues, écrits par Samuel Beckett à différents moments de sa vie, joués en anglais dans le texte par l'actrice et danseuse Lisa Dwan, et mis en scène par Walter Asmus.
En arrivant au théâtre, rien ne prépare à l'expérience qui va se dérouler. Rien ne laisse deviner que c'est surtout dans la salle que tout -ou presque, va se jouer. Grâce aux prouesses de l'actrice, seule en scène, et aux textes diaboliques de Samuel Beckett, le public est saisi d'un trouble immense et d'une intense fascination.
Pendant toute la durée de la représentation, l'assistance est plongée dans le noir. Au début, c'est une matière rare et dense, à couper au couteau. Un silence vertigineux, transpercé par une bouche suspendue à deux mètres de haut, seul point de lumière, qui nous mitraille de commérages avec un débit hallucinant, comme inhumain, ahurissant de technique et inintelligible à la fois.
Beckett l'a voulue ainsi, cette femme qui parle aussi vite qu'elle ne pense, à tel point qu'elle hypnotise toute l'audience. L'anglais a une expression pour cela : "a chatterbox" (un moulin à paroles).
Lisa Dawn s'est préparée à jouer "not i" avec l'aide de Billie Whitelaw, première interprète du rôle en 1973, et que Beckett avait dirigée. Il s'agit de dire son texte en étant suspendue par des filins, les bras ouverts pour que le souffle soit aussi libre que la diction rapide ne le demande, en n'ayant jamais le temps de déglutir.
Quant au public qui n'a pas le temps de comprendre ce qui se dit, on regrettera simplement qu'il trouve le temps, pour partie, de faire trop de bruit. "not i" demande concentration...
Pour "footfalls", c'est une silhouette fragile qui arpente le plateau d'un bout à l'autre, comme faisant les cent pas devant la chambre de sa mère en fin de vie, sans que rien ne le figure. C'est une voix fatiguée par le poids des ans que l'on entend de loin, dans un dialogue avec la relève, sa fille au timbre plus aigu, et l'on ne sait trop laquelle des deux est le plus angoissée par la mort qui approche.
A tel point que le spectateur finit par se rendre compte que les lèvres de la jeune fille bougent imperceptiblement quand c'est l'aïeule qui parle, et que Lisa Dawn n'est donc pas qu'actrice, danseuse, et acrobate, mais également ventriloque. C'est alors que le doute s'instaure : peut-être s'agit-il d'une seule et même femme qui dialogue en elle-même, tantôt pure et innocente, tantôt lucide et sereine, et qui au soir de sa vie, de bouche à bouche, boucle sa boucle.
C'est un spectre installé dans un rocking-chair qui annonce le dernier texte de la trilogie : "rockaby".
L'actrice oscille inexorablement dans un rayon cru et précis, dévoilant les traits de son visage au gré des jeux de lumière de James Farncombe. Son balancement pourrait chanter des battements de cœur, que personne ne s'en étonnerait. La mise en scène est très évocatrice, et les deux textes précédents nous menaient à cette image en conclusion.
C'est une veuve qui s'éteint à petit feu dans l'ennui, et qui peuple sa solitude de récits répétés du passé, de souvenirs qu'elle énumère comme une lente litanie de sirène qui se mord la queue. Si je me souviens, c'est que je suis encore en vie, semble-t-elle tenter de se convaincre elle-même. La mémoire est alors ce qu'elle nomme "another living soul" : une autre âme vivante. |