Cédant à l’amicale pression de mon rédacteur en chef, je me lance dans une triple chronique piquée. Oui, vous avez bien lu, trois albums d’un coup. Même pas peur. Il faut dire aussi que les pochettes ont attisé ma curiosité. Trois albums donc, mais un seul homme : Bernard Fèvre. Moi aussi, j’avoue mon ignorance et j’explore donc le web à la recherche d’informations. Son nom est associé à Black Devil ou Disco Club ou encore Black Devil Disco Club, un projet qu’il portait à la fin des années 70. Les trois albums dont nous allons parler datent de cette époque : Suspens (1975), Cosmos 2043 (1977) et Disco Club (1978). Si les deux premiers sont signés "Bernard Fèvre", le dernier se pose comme un acte fondateur puisqu’il est sorti sous l’appellation "Black Devil".
Pourquoi en parle-t-on aujourd’hui ? Froggy’s Delight serait-il le webzine dont les chroniqueurs ont le plus de retard au monde ? Non. Après une longue traversée du désert, la musique de Bernard Fèvre a été sortie des entrailles de l’industrie musicale par des archéologues du vinyle. Les Chemical Brothers à la fin des 90’s puis Aphex Twin en 2004, se sont emparés des ces sons remettant les titres de Bernard Fèvre à leur place : devant tout le monde. Et en 2015, ces trois disques sortent en CD, re-masterisés par le maître.
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Je choisis assez logiquement de prendre les trois disques dans leur ordre d’arrivée et commence donc par Suspense. 1975 me voilà. L’immersion est directe. Si on est d’abord pris par ces sons de synthés et boîtes à rythmes si particuliers, évocateurs et reconnaissables, la qualité du travail du compositeur, bluffante, s’impose d’elle-même. Suspense porte très bien son nom. On est comme plongé dans un film noir de l’époque. On imagine les bas-fonds d’une ville sombre dont les immeubles nous dominent du haut de leur puissance malfaisante, ces rues sales où la seule animation est un papier gras qui s’échappe porté par le dernier soupir du vent, ou un taxi qui file dans la nuit (probablement à la recherche d’un UberPop). Seules quelques touches de Funk (incarnées par le clavinet), unique source d’énergie encore disponible dans ce monde rétro-futuriste, apportent la lumière et font mouvoir nos corps mous.
Cosmos 2043 s’ouvre dans une sorte de continuité même s’il est en réalité beaucoup plus moderne. Certains sons font penser aux ambiances que Air créera 20 ans plus tard. Ce nouvel opus nous envoie directement dans l’espace. Lui encore porte bien son nom. Le doute n’est plus permis, Bernard Fèvre sait utiliser les notes et les sons pour mettre en scène de véritables images mentales. Je ne vous décrirai pas le tableau de bord clignotant de mille diodes du vaisseau qui m’emporte aux confins de l’univers ni l’exosquelette doré du droïde qui sert de copilote dans cette aventure, vous les verrez bien vous-même.
Viens alors l’indispensable Disco Club. Sorte de fusion entre électronique, disco et rock, ce disque est un tournant par rapport aux précédents. On y retrouve toute la force de l’image qui m’a conquis en écoutant Suspense et Cosmos 2043, la patte du compositeur, mais Bernard Fèvre pousse son exploration plus loin et part à la rencontre de la danse. Là encore, il a 20 ans d’avance, au moins. Je repense alors aux raves des 90’s et aux clubs d’aujourd’hui et j’ai l’impression d’avoir été jeune en dansant sur les tubes de Bernard Fèvre, alors que je n’étais pas né à la sortie des ses disques.
[] Stop
"One day the world will be ready for you and wonder how they didn’t see”. Je pense souvent à cette phrase de Mark Olivier Everett (Eels) quand le talent de certains artistes se heurtent à l’incompréhension du public pour finalement être porté aux nues des années, des décennies ou des générations plus tard. Cette phrase prend tout son sens avec Bernard Fèvre. Nous avons une deuxième chance de le découvrir, ne la ratons pas.
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