Comédie dramatique de Eric-Emmanuel Schmitt, mise en scène de Jean-Luc Moreau, avec Fanny Cottençon et Sam Karmann.
Le titre doublement explicite de cette partition, "Petits crimes conjugaux", annonce sans ambages son registre, celui du theâtre de l'intime, et sa thématique, celle classique, et récurrente depuis August Strindberg suivi, entre autres, par Georges Feydeau, Edward Albee et Ingmar Bergman, du pandémonium conjugal.
Eric-Emmanuel Schmitt la décline de manière originale sous forme d'une pièce à rebondissements, plus exactement à suspense, dans laquelle il dissèque, au gré de changements de registre stylistique à l'effet de montagnes russes, un couple face à l'épreuve d'une amnésie post-traumatique.
Et il s'empare de cette situation pour décrypter, avec une lucidité radicale notamment quand à la dualité "bourreau-victime" et la finalité sociétale du couple-famille, l'anatomie de l'amour qui réunit des monstres fragiles qu'il compare à des assassins et du couple analysé comme une aventure incertaine, un voyage au long cours et, surtout, une construction quasi-intellectuelle nécessitant un engagement commun et volontariste.
Pour Gilles et Lisa, la cinquantaine et quinze années de vie commune derrière eux, tout est à (re ?)construire. Pour l'amnésique bien évidemment mais également pour son épouse qui porte la mémoire du couple et se trouve confrontée tant à l'incertitude du présent qu'à un inconnu sans passé.
Elle, fébrile et nerveuse, use trop de la persuasion. Lui, méfiant et sceptique quant au tableau idyllique d'homme parfait et de couple idéal qu'elle brosse, mène l'enquête en la poussant dans ses derniers retranchements.
Pour mettre en scène ans un opus qui pourrait emprunter aux paroles des chansons "Avec le temps" et "Que reste-t-il de nos amours", sonde la dichotomie homme/femme et au dénouement polysémique, Jean-Luc Moreau opte pour le tempo de l'adagio seyant à l'atmosphère délétère du huis-clos, soutenu par le décor de Stéphanie Jarre, une pièce à vivre étouffante suggérant l'enfermement, avec de subtiles montées en tension et de subites déflagrations de violence.
Ayant travaillé avec chacun des deux interprètes sur des opus assoussiens, il instaure une réussie synergie entre Fanny Cottençon, qui campe parfaitement une névrosée obsédée par la fuite du temps et la jalousie, qui cultive le paradigme "comment être malheureux quand on est heureux" et la pratique de l'aphorisme amoureux "je t'aime, ça me tue, je te tue", et Sam Kermann, machiavélique en manipulateur traqueur et apôtre du mensonge. |