Les reprises de grands classiques contemporains revisités à travers le filtre jazz font florès (cf. les brillantissimes compilations When jazz meets pop sortis chez Radio Nova, ou Maxence Cyrin et ses Modern Rhapsodies). Le contraire est quant à lui moins vrai, rares sont ceux qui ont vu Mick Jagger reprendre du Count Basie.
Une poigne mélodique dans un gant d’accords enrichis ; voila ce que représente les recovers de titres monumentaux de la pop et du rock par un ensemble jazz de talent. Et le Flower power d’Aldo Romano, clin d’œil évident à l’âge d’or des swingin’ sixties, est un brillant essai du genre, une récréation musicale. De l’élitisme musical à l’écoute du plus grand nombre.
Et ce qui pourrait s’avérer être un exercice de style fait de nouvelles vagues peu remuantes se trouve être justement le contraire. Le tracklisting choisi par Romano, Vignolo et Trotignon, trio parfait de gangsters de l’improvisation, est simplement parfait, mettant parfaitement en valeur ces perles pop, les malaxant, les enrichissant, longeant la côte de chacune des mélodies, n’en oubliant jamais la silhouette. Jazz. Musique du passé. Noir et blanc. Et pourtant, que dire si ce n’est s’ébahir lorsque les trois jazzmen décident de bousculer Polnareff, Gainsbourg, Robert Wyatt et The Doors ?
Disons le clairement. Flower power n’est pas un disque à passer dans les dîners en ville, encore moins dans les soirées à thèmes, les repas à plusieurs. Flower power s’écoute. Et se déguste. Une fois passé la première récréation un peu décevante ("Love me please love me" de Polnareff) car sans doute trop méconnaissable et lorgnant du côté de Petrucciani, la claque est forte, violente et terrassante à l’introduction de "Say it ain’t so" de Murray Head. Bam ! Klang ! Quatre minutes et vingt trois secondes d’émotion, balayant l’original d’un revers de main sur le clavier, car la recover de Romano & Co est simplement magnifique, conservant de l’original la structure mélodique, mais nous parlons ici de travestissement, d’enluminures. Et d’une longue improvisation crescendo, qui monte, tangue, malaxe, malaxe, avant de revenir sur le thème principal, comme un chat sur ses quatre pattes fragiles.
Et l’amateur de rock, le moindre mélomane ayant égratigné ses oreilles sur le meilleur des 60 dernières années ne peut que se pâmer d’entendre cette splendide version de "Sea song" de Robert Wyatt, initialement issu de Rock Bottom. On frise ici le génie. Car si l’original est d’emblée indépassable, Aldo Romano et son groupe parviennent cependant à faire chanter les notes instrumentales, faisant oublier la voix de Wyatt l’espace d’une chanson. Période incroyable d’improvisation sur le piano satanique qui s’emballe, part loin dans le cosmos. Puis supplice suprême. La reprise est enchaînée avec "Crying song" du Pink Floyd, période More. A ce stade plus rien n’étonne. Tout est sublime.
Les jazzmen commencent alors à sérieusement se mettre au travail. Avec un "Black dog" emprunté à Led Zep, ici joué version boogie méchant, martelant les graves comme Jerry Lewis. Version méconnaissable tout en étant fidèle. Ou comment tromper son mari tout en restant propre. Une fois passé "Your song" d’Elton John, un brin ennuyeuse, l’auditeur finit son orgasme sur "The End" de Big Jim Morrison. Intimiste, batterie qui chuchote, piano qui pleure. L’auditeur aussi. Larmes de joies, de voir enfin ses classiques avec de nouveaux habits. Le jazz, quoi qu’on en dise, sait encore se renouveler.
"Remake Remodel" chantait Bryan Ferry chez Roxy Music. Aldo Romano et sa bande ont assurément pris le titre au pied de la lettre en publiant l’un des meilleurs albums, l’un de ceux qui feraient passer les originales pour des copies. |