Ariane Daguin est un chef d'entreprise heureux et avisé. Heureux, car
cette Française a conquis, sinon l'Amérique, du
moins l'assiette des gourmets d'outre-Atlantique, étant même devenue le fournisseur officiel de la Maison Blanche,
ce qui ne constitue pas le moindre des paris hardis et ambitieux dans
un pays champion de la mal-bouffe et dans lequel les gourmets, qui ne sont pas légion, pratiquent de surcroît
le protectionnisme
culinaire.
En effet, elle règne sur D'artagnan Inc., du nom de son héros unique et préféré dont elle portait le couvre-chef, 120 employés et 50 millions de dollars de chiffre d'affaires, qui a réussi à imposer
une gamme de produits haut de gamme issus de son terroir natal, la Gascogne, même s'ils sont fabriqués sur place,
et qui fête en 2010 son 25ème anniversaire. Avisée, car elle sort simultanément en librairie
"D'Artagnan à New York" qui relate son incroyable
épopée américaine.
Daguin le nom n'est pas inconnu. C'est celui du très légendaire André Daguin, ancien chef doublement étoilé de l’Hôtel de
France à Auch, chantre de la cuisine gasconne, "inventeur" du magret de canard poêlé et de recettes novatrices
à base de foie gras gersois,
nom peut-être étranger à ceux qui ne sont pas férus de gastronomie mais sans doute pas à tous ceux qui ont suivi
l'actualité de la baisse
du taux de TVA dont il fut l'ardent et tonitruant défenseur en tant que président de la puissante Union des métiers de
l'industrie hôtelière.
Bref, l'aînée de ses enfants, prénommée Ariane, a tôt fait de pressentir que, bien que née dans le sérail très fermé de
la grande cuisine française, celle-ci ne se conjuguant qu'au masculin, son sexe l'écartait de la succession paternelle.
Alors, elle a jeté son bonnet par dessus les moulins, envisageant mollement de devenir journaliste, ce qui la conduisit
après une liaison clairement affichée avec l'ennemi juré paternel, dont elle aura par la suite
une fille prénommée Alix qui envisage déjà de reprendre le flambeau maternel,
à partir pour New York, sans aucune aide financière et sans la bénédiction d'un père avec qui elle était plutôt en froid,
sous prétexte de suivre des études de journalisme, en fait un exil teinté de révolte
et de déception.
Le besoin d'argent l'amène à devenir représentante en pineau des Charentes puis de faire ses premières armes de
manager dans une charcuterie fine ouverte par des compatriotes, comme quoi il n'y a pas de hasard, avant de monter
avec succès sa propre affaire en commençant par la commercialisation du foie gras.
Alors oui, réussir en Amérique est possible à condition d'avoir comme Ariane Daguin
l'étoffe d'une self-made-woman, des atouts quasi-génétiques (un mètre quatre-vingt, une carrure de sportive, une voix
rodée par les chansons de fin de banquet et une santé de chêne),
des idées novatrices (le foie gras en burger, la promotion de la viande de bison, le beurre de truffe), de la pugnacité, de l'audace également,
une force de travail hors du commun pour accepter de travailler 20 heures par jour, sept jours par semaine,
pendant des années en mettant la main à la pâte, de la conduite des camions au fumage des magrets en appartement,
au détriment certainement de sa vie personnelle et pouvoir faire face aux coups de Jarnac de son associé félon ou
Et également de disposer, comme son héros mousquetaire,
des bottes secrètes.
Ces bottes secrètes se sont une grand-mère qui lui a appris à
choisir et préparer les foies gras, la connaissance de la mentalité des chefs, ses futurs clients, l'appui de la communauté française
de New York et la chance d'arriver au bon moment pour surfer sur la vague de la mode des produits naturels et de l'âge d'or
du French is beautiful.
Soutenue par la plume du journaliste Jean-Michel
Caradec'h, elle livre l'autobiographie pleine de verve
d'une grande fille terrienne et hédoniste au franc parler qui
a pour devise "loyauté et droiture" et d'une battante empathique,
"toujours prête à dégainer sa rapière pour peu qu'on touche
à mon honneur ou à mes convictions" composée de chapitres bien
ficelés qui décrivent notamment ses combats de longue haleine
avec le ministère de l'Agriculture américain ou ses démêlés
homériques avec les ligues végétariennes et les défenseurs des
animaux, qui se lit vraiment comme un roman d'aventures moderne. |