Adaptation et mise en scène du roman éponyme de Rilke par Bérengère Dautun, avec Bérengère Dautun et Guillaume Bienvenu.

La reprise de ce spectacle, "Les cahiers de Malte Laurids Brigge", qui a triomphé des mois au Théâtre de la Huchette, permet, grâce à une salle plus vaste, de donner une forme nouvelle à la scénographie.

Un jeune poëte - Rainer Maria Rilke lui-même - évoque les souvenirs du temps heureux, auprès de sa mère. Ainsi protégé, le monde lui paraissait moins étouffant, d’une main légère, quelqu’un écartait les branches de cette forêt sans clairière.

Bérengère Dautun, la tragédienne, la comédienne unique, qui traverse désinvoltement le temps en disant des textes immortels, incarne cette mère dévouée, qui, même morte, éclaire le chemin de son enfant, sait voir et se cacher, n’apparait qu’aux invocations pour, pudiquement, retourner à l’ombre. La délicatesse et la force de son jeu troublent tant l’âme que le souvenir d’autres fantômes remonte à la mémoire, les nôtres.

Face à elle, Guillaume Bienvenu est le Jeune poête, perdu, convocateur, à l’écriture qui lui prodigue force, plus que l’inverse, qui se bat pour vivre, aidé par l’invisible encouragement, le mot d’amour donné, gravé, renouvelé irréellement par ce spectre proche et infiniment loin.

Quelques belles - et brèves musiques - ponctuent ce spectacle sans nom connu, sans définition aisée : Ecriture, Mystère (majuscule) de l’écriture, avec ses incarnations, la veille étrange des initiés, le miracle et ses saints.

Représentation d’une si grande qualité et d’une telle élévation qu’elle pourrait être la plus provocatrice du "guide des spectacles". Cette diction, cette exigence, cette obligation morale du beau, là, maintenant, encore… ? Et cet effondrement, par pression, de châteaux de cartes, d’éphémères montages, de pièces montées et démontées : bruit de vent, sec, saisissant.

L’adaptation et la mise en scène, signées également de Bérengère Dautun , témoignent de la sensibilité et de l’expérience de son auteur.

A voir, revoir, recommander et ressentir.