La
Madeleine Proust fait le tour du Monde pièce de Laurence Sémonin
montée par Laurence Sémonin avec Laurence Sémonin , Julie
Jouvenot , et Samy Guet
Deux heures de spectacle où l’on oublie tout…La Madeleine
nous happe dès la première réplique…et on ne la
quittera qu’à regret. Pas donneuse de leçons elle nous
remet les pendules, comtoises bien sûr, à l’heure.
Et comme personne ne parle mieux de la Madeleine Proust que Laurence Sémonin…je
lui laisse la parole ci-dessous…Pour notre part d’humanité.
‘`En 1982 j'ai 31 ans et j'entre dans la peau d'une vieille femme,
paysanne, 76 ans, le dos voûté, l'arthrose au bras, vive, curieuse,
le corps jeté en avant. Toujours quelque chose à faire. Quelque
chose à dire. Faire plutôt que être. Sa voix qui sent la
bise et les sapins, accompagne comme une musique les gestes qui ont en mémoire
le savoir-faire, dans un quotidien barricadé d'habitudes et de manies.
Une miette de pain a l'insolence d'un obstacle au bon fonctionnement des engrenages.
Ce personnage je le crée poète involontaire et je l'installe
dans le réalisme. Le réalisme est ambigu, c'est son charme infini.
Le questionnement fertile s'installe. Derrière une expression bénigne
(« en vase clos »), une satire sociale (« en vaste clos
»). La Madeleine Proust trimballe ses pataquès, sa philosophie
instinctive, de la table en formica à l'évier, de l'évier
à la fenêtre, du détail à l'universel.
En 1986 j'ouvre la porte de la cuisine sur le jardin. Depuis 82 j'ai élargi
mon champ de vision. La Madeleine aussi. Côté cour mon coeur
bat dans sa peau de nylon, ma voix crie, dénonce, raconte, pleure et
chante.
La Madeleine Proust est mon habit de scène. Et à présent
mon porte-Parole.
À l'an 2001 juste un pas à faire, celui qui « coûte
». Pour sortir de son jardin et enjamber les frontières. La Madeleine
Proust n'a pas vieilli mais le rythme autour d'elle s'est accéléré
dans une course vertigineuse à la production, à la consommation,
course aux armements, course contre le temps. La famille éclate. Un
neveu déménage à Belfort, un autre s'installe à
Marseille, une nièce à New York, la Véro à Delhi...
Ainsi j'emmène la Madeleine Proust dans des paysages qui n'existaient
pour elle que sur les cartes postales collées sur le buffet de sa cuisine…
Elle nous restitue à travers sa lorgnette, à travers le tamis
de sa culture ses impressions de voyage. Elle nous renvoie à nous-mêmes,
à nos a priori, à nos préjugés, à nos conditionnements
d'occidentaux. Avec l'oeil malin du bon sens. Et par son humanité,
elle nous révèle une part de notre humanité.
Elle n'est pas allée aux écoles mais la vie pour elle est une
école. « Les voyages forment la jeunesse, même pour les
vieux ».
Dans ce troisième spectacle les tableaux se succèdent comme
les diapositives qu'on montre à sa famille, à ses voisins au
retour d'un voyage. On commente, on extrapole, on délire. ..
Pour la Madeleine j'ai appris à prendre l'accent, à voûter
mon corps, à placer ma voix, à plumer une poule, à tenir
les fils invisibles qui me relient au public pour jubiler avec lui….
À travers la Madeleine Proust je revendique le droit à la parole
des gens simples, la nécessité de transmettre le savoir, les
particularismes de langue, les accents de nos terroirs, le droit à
la différence. Les prises de conscience qui nous bouleversent à
l'intérieur, nous mènent par la main au lâcher prise,
au pardon, à la compréhension des autres.
Le droit de rire de tout - mais pas n'importe comment.
Dire qu'on voit les choses comme on est, et pas comme elles sont.
À l'heure du « jeunisme », j'offre une vieille femme à
aimer.’’ |