Le roman intitulé "Les imperfectionnistes", qui arrive en France fort d'une distribution internationale dans plus de 25 pays et de ses droits d’adaptation cinématographique acquis par la maison de production de Brad Pitt, est présenté par son auteur, Tom Rachman, comme "une description détaillée et authentique des coulisses la presse internationale".
Et Tom Rachman doit connaître son sujet puisque que celui-ci est nourri de son expérience de journaliste à l'Associated Press puis à l'Herald Tribune, voie choisie plus par opportunisme dilettante que par vocation puisqu'il indique, en interview, avoir décidé de devenir journaliste car "de cette façon, je pourrais voyager, écrire, lire".
Cette faible implication originelle lui a sans doute laissé le loisir d'observer, de l'intérieur, le microcosme du journalisme et le lecteur exulte déjà de pouvoir entrer dans les coulisses du 4ème pouvoir, et en découvrir non seulement les arcanes avec les présumées manigances, manipulations et tractations qui assaillent la presse d'information mais également les figures de proue.
Las, la 4ème de couverture, bien qu'évoquant un roman choral, ramène ce dernier à un tout autre contenu puisque Tom Rachman
s'est uniquement attaché à dépeindre une brochette de
petits, médiocres et obscurs journalistes qui ne verront jamais leur nom à la une - et qui ne l'ambitionnent d'ailleurs pas ou plus vraiment - dont la seule préoccupation est de garder leur emploi au chaud et près du distributeur d'eau avec cet état d'esprit que l'on attribue souvent exclusivement et péjorativement aux fonctionnaires, c'est-à-dire à la masse anonyme et laborieuse des obscurs et sans grade.
Certes, il n'y a plus que les personnes qui sortiraient un coma artificiel prolongé pour ignorer que le reporter de guerre à la Hemingway et le journaliste d'investigation de la famille des Carl Bernstein et Bob Woodward ne ressortissent plus que de l'Histoire ou de la littérature et les idéalistes adeptes du taoïsme vivant dans un ermitage pour, malgré la crise et la suspicion de manipulation et de bidonnage de l'information pour faire vendre, car un journal est d'abord une entreprise commerciale qui surveille son chiffre de ventes comme la télévision son audimat, croire aveuglément à ce qui est relaté par la presse en psalmodiant l'antienne "c'est écrit dans le journal".
Certes, ces figures emblématiques ne constituent que le nec plus ultra des détenteurs du sésame d'apparachnik qu'est la carte de journaliste comparés à la plèbe des journalistes, correspondants, rédacteurs et pigistes chargés du remplissage de page et qui ne postuleront jamais pour le prix Pulitzer.
Certes il n'y pas que les cadors médiatiques et médiatisés, mais en l'occurrence Tom Rachman ne fait pas dans le haut du panier et ne peut être accusé de magnifier la figure du journaliste.
Il situe ses imperfectionnistes, terme d'ailleurs dépourvu de sens en français, et même de définition, dans un journal atypique, un journal de langue anglaise créé à Rome au début des années 50 par un industriel américain pour des motifs qui n'ont rien à voir avec raisons journalistiques, politiques ou spéculatives mais pour une raison plus intime de l'ordre amoureux - ce qui explique son recrutement de second ordre.
Sur fond d'histoire d'amour tragique vaguement esquissé, Tom Rachman dissémine les mélodrames quotidiens de personnages archétypaux certes incompétents, que, toutefois, les problèmes professionnels n'assaillent que ponctuellement sous forme de quelques bouffées délirantes, mais surtout paumés, loosers, désenchantés, nombrilistes, handicapés de la vie et déconnectés de la vie réelle.
Ni fresque ni roman choral, il s'agit d'une série d'histoires courtes, obédience Armistead Maupin austère, adaptées au lectorat urbain contemporain qui se lisent aisément et sans déplaisir, car l'auteur connaît son guide d'écriture de la chronique efficace, pour lesquelles, finalement, la presse sert uniquement de toile de fond.
Il suffirait de modifier quelques termes pour que ces personnages, dont le seul réel commun dénominateur est d'être salarié d'un même employeur, soient tous aussi crédibles dans un autre secteur socio-professionnel. Cela étant, si effectivement il s'agit de portraits pris sur le vif représentatifs des journalistes contemporains, il est temps pour la presse de mettre du crêpe à son habit. |