Réalisé par Laurent Cantet. France. Comédie dramatique. 1h35 (Sortie le 3 décembre 2014). Avec Isabel Santos, Jorge Perugorria, Fernando Hechavarría, Néstor Jiménez, Pedro Julio Diaz Ferran, Carmen Solar, Luis Reinoso et Andrea Doimeadios.
Le soir, une terrasse, des quinquagénaires désabusés et désenchantés se posent l'inexorable question générationnelle de l'automne de la vie : "Qu'avons-nous fait de nos vingt ans ?".
Impossible de ne pas penser à "La terrasse" de Ettore Scola même si "Retour à Ithaque" ne se passe ni dans l'Italie pré-berlusconienne, ni dans la Grèce antique, mais aujourd'hui à Cuba.
Dans la catégorie du film à huis-clos qui emprunte à la règle des trois unités du théâtre classique - précision liminaire importante pour parer aux stupides critiques sur la staticité de l'opus, il ne s'agit bien évidemment pas d'un film d'action - et avec un scénario soigneusement écrit aux dialogues peaufinés, Laurent Cantet propose de passer une soirée à La Havane avec Tania, Eddy, Rafa, Amadeo et Aldo.
Une soirée qui prend la forme d'un voyage immobile jusqu'au bout de la nuit pour évoquer leurs petites histoires individuelles qu'ils pensent prises dans la tourmente de la grande et, avec un générique de choix, la crème des acteurs cubains au jeu émérite, Laurent Cantet livre un beau portrait de groupe.
Ils n'appartiennent pas à la caste de privilégiés subitement saisis par la vacuité existentielle mais à la génération des jeunes artistes et intellectuels de gauche des années 1950-1960 qui ont cru refaire, sinon le monde, du moins leur pays et dont les ailes ont été rognés par la "période spéciale", métaphore pour désigner la dictature jamais explicitement nommée, puis par la crise économique devenue pérenne.
Ils se retrouvent à l'occasion du retour de Amadeo (Néstor Jiménez), qui revient vivre le reste de son âge sur sa terre natale après une émigration opérée furtivement au cours d'une tournée théâtrale en Espagne. Ecrivain qui ne pouvait plus écrire, il a préféré l'exil, un exil qui n'a pas été doré, mais qui lui a permis de surmonter cette épreuve et de continuer à écrire.
Tania (Isabel Santos) a terminé ses études de médecine pour devenir une ophtalmologue qui réussit à peine à vivre de son métier. Elle s'est accrochée à son pays alors que son mari et ses enfants sont partis vivre à Miami et l'ont copieusement oubliée.
Rafa (Fernando Hechavarria), peintre avant-gardiste prometteur a sombré dans l'alcoolisme avant de se résigner et se reconvertir dans une peinture commerciale pour touristes et Aldo (Pedro Julio Diaz Ferran), qui a perdu son emploi d'ingénieur, vivote du recyclage de batteries.
Quant à Eddy (Jorge Perugorría), le seul à faire figure, certes relative, de nanti, pragmatisme faisant loi, il a vite abandonné ses prétentions littéraires pour rentrer dans "le système" et en tirer avantage pour s'assurer une belel qualité de vie.
Les retrouvailles sont enjouées et émues comme pour le retour du fils prodigue. Mais après la remémoration des souvenirs communs de jeunesse, les tensions apparaissent et remontent à la surface les frustrations, les renoncements, les rancunes et les griefs réciproques.
Si le grand coupable immanent est le destin, si chacun invoque l'alibi de la cause extérieure ("On nous a volé notre vie"), tous ceux qui sont restés, non pas tant par intention délibérée de continuer la lutte mais parce que englués dans un certain immobilisme, reprochent à Amadeo désertion et félonie, alors même qu'il est peut-être le seul à ne pas avoir cédé, préférant la fuite à la soumission. Mais finalement, ils sont tous là, encore une fois, à partager une amitié qui a su résiter au temps.
La mise en scène classique de Laurent Cantet sied à ce film qui peut être regardé comme un exercice de style et délivre, grâce à l'humour et l'autodérision qui irriguent les dialogues et, surtout, au jeu sensible des comédiens cubains, de beaux moments d'émotion mélancolique. |