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puce Jehan - Lionel Suarez
Studio de l'Ermitage  (Paris)  jeudi 21 mai 2015

Dix mois après leur passage au Limonaire (chroniqué ici), le chanteur JeHaN et l’accordéoniste Lionel Suarez sont revenus présenter leur spectacle à Paris, sur une plus grande scène. Entretemps, ils ont enregistré un disque (Pacifiste Inconnu, prévu pour novembre) et travaillé avec une jeune équipe (Ulysse Production). On est content de les revoir dans une vraie salle, avec un vrai spectacle. Ce que l’on perd en intimité – au Limo, le public touche presque les artistes – on le gagne en mise en scène. Ce que l’on perd en débraillé "rock" (le spectacle d’il y a 10 mois était brut de décoffrage, avec toutes les grandes qualités et petits défauts que ça comporte), on le gagne en nuances. Ceci dit, même en mode "retenu", JeHaN est suffisamment "bête de scène" pour instaurer une atmosphère de communion – chaleureuse, certes, mais surtout pas solennelle… même si c’est le répertoire d’un grand disparu que l’on honore.

Allain Leprest (puisque c’est – encore – de lui qu’il s’agit), pour ceux qui ne le savent pas, a publié une œuvre discographique importante (une dizaine d’albums sous son nom), augmentée d’un nombre considérable de textes offerts à divers interprètes (dont JeHaN, qui en a mis en musique quelques-uns). Cerise sur le gâteau : le chanteur-poète, mort en 2011, a laissé un formidable trésor englouti, riche d’innombrables raretés et inédits qui remontent régulièrement à la surface, conférant à chaque nouveau concert hommage une inévitable part de redécouverte.

Si le tour de chant de JeHaN & Suarez est composé grosso modo du même répertoire qu’en juillet 2014, on note tout de même quelques ajouts importants : en premier lieu, le monumental "C’est Peut-Être", l’une des chansons essentielles de son auteur, à la fois politiquement (le déterminisme social vu par le prisme de l’art) et esthétiquement (un crescendo beau à chialer, réussissant à être puissant avec subtilité). Issue du magnum opus de Leprest – "Voce A Mano" – elle a été enregistrée en 1992 avec Richard Galliano, dans la même configuration voix-accordéon. Souvent reprise, on pouvait se demander ce qu’une énième incarnation allait lui apporter. C’était sans compter sur Lionel Suarez, qui revisite les partitions de son homologue avec respect, finesse et personnalité. Alors que d’autres réinterprétations – on se souvient de Mon Côté Punk et Fantine Leprest au Bataclan – y allaient en force jusqu’à l’uppercut final (le couplet sur Jésus), les deux compères proposent une relecture douce, avec de micro-nuances d’un couplet à l’autre : plus proche de ce que faisait Galliano, en somme. Ils remuent la partition originelle, sans la violenter : le texte est suffisamment évocateur pour émouvoir sans que la musique en rajoute. "Qui peut le plus peut le moins" : l’adage est ici parfaitement illustré.

Autre surprise : "J’ai peur" en version parlée, presque slammée. C’est une nouvelle virginité offerte à ce poème : la musique composée à l’époque du premier album (par Jean Ferrat) et déclinée ensuite sur scène était si démonstrative qu’elle donnait à ce beau texte une seule interprétation possible – la noirceur. Le remettre à plat et le dire plus simplement permet de mieux entendre l’infinité de nuances contenues dans son questionnement existentiel. Lionel Suarez rejoint JeHaN à la fin pour un pont instrumental (sur lequel le chanteur joue de la musicalité de sa grosse voix, poussée dans les derniers retranchements des graves)… avant d’enchaîner avec "Je ne te salue pas" (autre classique), dont ils délivrent une version speedée. JeHaN et Suarez apportent la preuve définitive que l’accordéon est un instrument rock – et poussent le bouchon jusqu’à manquer autant de respect envers le Dieu pris à partie qu’envers la mélodie originale (de Romain Didier), méchamment secouée, puissamment réinventée.

Ailleurs – on n’est jamais mieux servi que par soi-même – JeHaN revisite ses propres classiques coécrits avec Allain : "Etrange", issu de l’album Les Ailes de JeHaN (qu’Ulysse Prod pourrait rééditer si les chiffres du CD à venir sont à la hauteur). "Ne Me Quitte Plus", avec ce moment paradoxal où il chante "Je tiens ma guitare comme une pagaie" : JeHaN n’a jamais paru si nu que durant ce concert où il ne se cache plus derrière son instrument ! On est content de réentendre "Bas les masques", rareté passée de bouche en bouches (enregistrée par Leprest sur maquette, Francesca Solleville sur disque - et transfigurée en scène par le groupe féminin Face à la Mer). Idem pour "Chansons Bateaux" (alias "Le Jour baisse toujours trop tôt"), l’un des textes de Leprest ayant le plus voyagé : de 1986 (première mise en musique pour le spectacle "Le Chanson de les valises") à 2014 (nouvelle version pour Jean Guidoni). Entre-temps, il y a donc eu celle de JeHaN, au texte remanié et à la mélodie si émouvante… Et l’on a redécouvert très récemment un enregistrement de la mouture initiale – mise en musique par Didier Dégremont, interprétée par Guillaume Payen. La comparaison est intéressante : loin de le galvauder, ces multiples incarnations confèrent au texte une épaisseur supplémentaire, comme si la chanson s’enrichissait du talent de tous ceux qui se sont acharnés à lui trouver une musique.

Plus loin, le sacré duo nous gratifie d’un inédit, "Va-t’en voir ailleurs". François Lemonnier l’évoquait déjà (sous son titre originel, "Bouba") dans l’ouvrage "Allain Leprest - Gens que j’aime", indiquant qu’il avait d’abord été écrit pour Francesca Solleville. Entretemps, Lemonnier, mécontent de sa mélodie, a offert le texte à JeHaN, qui l’a passé à Suarez pour le remettre en musique. C’est une chanson à la fois triste et enlevée sur la fin d’enfance (Leprest s’est sans doute rappelé que Lemonnier, jadis instituteur, avait enregistré de beaux disques jeunesse), la montée en graine et en puissance d’un adolescent – et le chamboulement causé chez les gens autour – jusqu’à l’âge adulte forcément mortifère ("Alors on ne joue plus ?").

Côté "lepresteries" mineures mais charmantes, on est surpris de redécouvrir "Bien avancés" (musique : Louis-Lucien Pascal), que JeHaN joue depuis un moment mais qui ne nous avait, jusque-là, pas spécialement marqué. C’est une chanson sketch : un bougre et une bougresse dont la soirée tourne bien (ou mal, selon le point de vue…), pleine d’allusions grivoises et d’un esprit plutôt grinçant. Cette fois, JeHaN l’incarne sobrement, sans abuser des effets de manche : la retenue avec laquelle il joue ce texte « hénaurme » le fait passer d’autant mieux.

Seule petite déception du concert : "Où vont les chevaux quand ils dorment ?". Sans doute le texte le plus mystérieux de son auteur, plus compliqué dans le fond que ce que sa forme (assez simple) laisse imaginer : "un cheval, c’est insaisissable" dit-il… et l’âme de cette curieuse chanson aussi. D’autres s’y sont déjà cassé les dents – notamment Christophe, qui s’était risqué à l’interpréter sur l’album Symphonique. Cette chanson ne va pas bien à JeHaN, qui a une voix trop terre-à-terre pour porter comme il convient ces considérations poétiques éthérées. [Note : on recommandera plutôt la superbe relecture parlée qu’en fit récemment la chanteuse-comédienne Clémentine Duguet, sur un disque méconnu, "Clémentine chante Leprest"]

Un mot pour conclure : à la fin du concert, lorsque Suarez tombe l’accordéon pour saluer, il révèle une grande marque de sueur sur le devant de sa chemise – trempée là où il serrait l’instrument-orchestre. Sous ses airs imperturbables, il a donc mouillé la chemise aussi fort que n’importe quel musicien rock déchaîné. On ne le dira jamais assez : la chanson à texte est capable d’autant d’intensité – à un volume sonore décent – que les braillards planquant leur inanité sous les décibels. Et ce n’est pas qu’une affaire de "vieux cons" : derrière nous (au balcon), un jeune homme a passé le concert à chanter et mimer les paroles avec de grands gestes habités. A le voir, on est rassuré sur la postérité de Leprest : JeHaN est sans doute l’interprète le plus à même de renouveler son public – il brassait, ce soir-là, des gens de tous âges. Les nouvelles générations sont sur les rangs ; il leur reste tant de belles choses à découvrir.

 

A lire aussi sur Froggy's Delight :

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La chronique de l'album Quarteto Gardel de Lionel Suarez - Airelle Besson - Vincent Segal - Minino Garay

En savoir plus :
Le site officiel de JeHaN
Le Facebook de JeHaN
Le site officiel de Lionel Suarez
Le Facebook de Lionel Suarez


Nicolas Brulebois         
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