Bruno Coulais (Microcosmos : Le Peuple de l'herbe (1996), Déjà mort d'Olivier Dahan, Himalaya : L'Enfance d'un chef (1999), Les Rivières pourpres de Mathieu Kassovitz (2000), Le peuple migrateur de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud (2001), Les Choristes de Christophe Barratier (2003), Les Adieux à la reine de Benoît Jacquot (2011)…) poursuit sa collaboration avec le réalisateur Jacques Perrin pour Les Saisons, voyage à travers la nature et superbe contemplation de la faune et de la flore.
Si la volonté du compositeur est d'inscrire le film dans l'univers du conte naturel, il privilégie d’abord et avant tout les ambiances avec un leitmotiv traversant tout le film et propose une musique féérique, envoûtante et immersive, aux mélodies amples (on retrouve ici comme souvent chez lui : chœur d’enfants, influence des musiques venues d’ailleurs, cordes lyriques…) rappelant Himalaya : L’enfance d’un chef ou Microcosmos et qui n’a pas besoin des images pour s’épanouir. Une musique qui participe également à guider, à faire adhérer consciemment ou pas le spectateur à la narration du film (à l’inverse des partis-pris de la nouvelle vague). Nous en avons profité pour lui poser quelques questions, sur son rapport à la musique et au cinéma.
Quel est votre parcours de musicien ?
Bruno Coulais : J'ai une formation classique et me suis d'abord passionné pour la musique pure, loin de l'image. C'est la musique dite contemporaine qui m'a intéressé lorsque j'étais jeune et je suis venu à la musique de film par hasard.
Comment devient-on compositeur de musiques pour le cinéma ?
Bruno Coulais : Très jeune, j'ai suivi un stage dans un auditorium parisien, et la monteuse Delphine Desfons m'a présenté François Reichenbach qui m'a demandé de lui écrire une première musique pour un documentaire, puis un second, etc.
Quelles sont vos influences musicales, les musiques d’ailleurs, du monde semblent tenir une place importante ? Vous sentez-vous dans une lignée plutôt française comme Duhamel, Philippe Sarde ?
Bruno Coulais : La musique de film m'a amené à apprécier tous les styles de musique, de la musique traditionnelle au Jazz, en passant par la pop. Je pense que la musique de film n'est pas un genre en soi et même si j'aime travailler pour des orchestres, j'aime trouver des formules insolites, des mélanges instrumentaux hétéroclites selon les films. Pour moi, le film est le maître du jeu, plus que les réalisateurs, et le compositeur doit essayer de capter tout ce qui est secret dans le film, le non-dit, ce qui n'est pas directement visible et indiqué par la narration ou par les dialogues.
Qu’est-ce qui vous plaît dans la composition de musique de film ?
Bruno Coulais : J’aime travailler pour le cinéma car il m'offre tout un champ expérimental sur la plupart des films. C'est pourquoi je déteste que les montages se fassent sur des musiques temporaires qui limitent le champ expérimental du compositeur et enserre le film dans un carcan qui ne lui appartient pas.
Comment trouve-t-on son équilibre entre la composition d’œuvres plus classiques et la composition pour le cinéma ?
Bruno Coulais : Depuis quelques années, j'ai besoin d'alterner mon travail pour le cinéma et pour le concert. Le problème pour le compositeur avec la musique de film, c'est qu'il ne se pose pas la question de la forme, du développement, car il travaille sur des fragments courts. Écrire pour le concert me pousse à me poser la question essentielle : quel est pour moi la nécessité d'écrire de la musique ? Mais, après ce travail solitaire j’ai besoin de retrouver ce travail en équipe avec le réalisateur, le monteur, le monteur son, le mixeur, l’ingénieur du son musique, etc.
Quelle est la place du compositeur vis-à-vis du cinéaste et de son esthétique ?
Bruno Coulais : La place du compositeur est un peu celle d'un schizophrène car d’une part il est au service d’un univers extérieur au sien mais d’autre part, il veut être un peu fier de la musique qu’il compose. Mais c'est aussi dans cette contrainte que se joue la beauté de ce métier.
Pensez-vous que chaque metteur en scène doit construire son / un rapport à la musique ?
Bruno Coulais : En France, beaucoup de metteurs en scène se posent tardivement la question de l'emploi de la musique sur leur film. Pourtant, elle est un des éléments organiques du film.
Vous êtes attaché à certains réalisateurs, James Huth, Benoit Jacquot, Jean Paul Salomé ou Jacques Perrin. Comment construit-on une relation privilégiée entre le musicien et le cinéaste ?
Bruno Coulais : Lorsque l'on travaille fréquemment avec le même réalisateur, il est important de ne pas se laisser déborder par les habitudes et de se remettre en question à chaque film comme si c'était une première collaboration. Il est toujours important de surprendre le metteur en scène, quitte à aller contre ses idées premières sur la musique.
Pensez-vous que la musique de film puisse être considérée comme un procédé subliminal ? La musique pourrait apparaître comme un moyen d’évoquer un ressenti chez le spectateur de façon inconsciente, au même titre que le travail d’acteur, l’éclairage, la composition, la photo… Le réalisateur peut s’en servir pour développer une idée qui n’apparaît pas à l’écran, d’autant que la musique tout comme le cinéma peut évoquer des sensations, jouer avec les symboles de l'image et créer une intensité dramatique. Sur quelle base peut-on s’appuyer pour créer un univers qui va venir compléter l’œuvre cinématographique ?
Bruno Coulais : Idéalement, la musique devrait être un personnage autonome qui évolue dans le film. Elle n'est pas là pour souligner ce que l'on on voit déjà à l'écran ou ce que les dialogues indiquent, mais elle doit vibrer au même titre que la lumière dont elle est très dépendante, jouer sur le non-dit, ne pas forcer la psychologie. Elle peut, parfois, produire un effet manipulateur sur les séquences, il faut l’utiliser avec précaution car elle peut trahir la pensée du réalisateur. La lumière du film, les couleurs, sont des éléments déterminants pour concevoir la musique d'un film. Ils indiquent des tonalités des orchestrations. Il y a aussi un problème de densité de l'image que la densité orchestrale doit respecter. Certaines musiques ne doivent apporter aucun poids aux séquences ou inversement submerger les dialogues, comme chez Godard, et donner un autre sens à la séquence.
Il me semble que vous aimez jouer avec une écriture "dérivative", jouant quelque part avec le reflexe de reconnaissance du spectateur. C’est le cas avec Les Saisons, où vous installez votre musique dans une atmosphère proche du conte naturel, ce qui permet à la musique de trouver sa place dans le récit….
Bruno Coulais : Pour les saisons, j'ai tenté avec la musique d'inscrire le film dans l'univers du conte naturel. Pour cela, j'ai écrit des thèmes simples qui semblent appartenir à la mémoire collective. De telle sorte que la musique semble venir du décor. J'ai beaucoup utilisé pour cela des effets de lointains comme si la musique était perçue au fond de la forêt et non comme une illustration musicale. La musique est là pour colorer les sons plutôt que pour les submerger.
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