Comédie dramatique de Jean-Benoît Patricot, mise en scène d'André Nerman, avec Catherine Aymerie et François Cognard.
En mettant en scène "Darius" de Jean-Benoît Patricot, André Nerman s’attèle à un triple défi : celui de l’histoire à la fois solaire et bouleversante, celui du style toujours compliqué à adapter sur scène - le roman épistolaire - et celui enfin du sujet des nez, car comment convoquer les émotions et les senteurs uniquement par des mots? Gageure magnifiquement relevée cependant.
Darius c’est ce jeune homme polyhandicapé, né sourd et muet et dont la maladie le fait décliner progressivement, le paralysant peu à peu, l’empêchant de voir, jusqu’à réduire son horizon à un seul sens: l’odorat.
Sa mère, Claire, s'est cependant toujours battue pour ouvrir son fils au monde, l’initiant au cinéma, le faisant voyager. Mais voilà, le jour vient où le voyage n’est plus possible pour Darius. Claire trouve alors un stratagème astucieux en faisant appel à Paul Lagarce, célèbre parfumeur. Elle le charge de recréer toutes les senteurs de la vie de Darius - lieux, personnes, film - pour maintenir intacte la flamme de son enfant et poursuivre par les sens leurs échanges incessants.
Paul de son côté a abandonné ses activités créatives et vivote depuis la mort de sa compagne, bradant son talent sur les marchés de Provence. Ce n’est qu’à reculons qu’il accepte cette étrange proposition.
Au fil des échanges épistolaires et échanges de flacons se noue néanmoins entre ces deux âmes bien différentes une relation faite de défi, de créativité, d’imaginaire, d’humour, de tendresse, dans ce qui devient peu à peu une quête à la quintessence de l’existence elle-même. D’anecdotes en confidences, ils se racontent avec pudeur, apprennent de leurs échecs, partagent leurs tourments, évoquent le bonheur.
L’écriture de Jean-Benoît Patricot est brillante: la langue est fine, vivante, savante. Les références au cinéma et à la littérature sont nombreuses - Proust, Stendhal, Flaubert, Demy, Lucas - tout comme aux sens et aux parfums, avec une richesse d'évocation visuelle d’une rare puissance. Il fait de cet échange de lettres un double dialogue intérieur en ping-pong, à la fois vif et profond. Les personnages sont attachants et profondément justes, humains.
Le déclin progressif de Darius, mis en regard du parcours intérieur de Paul et de Claire, est mis en avant sans apitoiement ni sensiblerie mal placée, Jean-Benoît Patricot voulant (et c’est le personnage de Claire qui le dit lui-même) se placer quoi qu’il arrive du côté de la vie.
La mise en scène d’André Nerman efface habilement la distance physique supposée des deux personnages. Ils semblent en effet se parler et s’écouter mutuellement, séparés seulement d’une cloison invisible et immatérielle. Leur espace scénique est disjoint mais leurs regards et leur intention sont bien dans l’échange.
Catherine Aymerie est époustouflante dans le rôle de Claire. Sa présence solaire malgré son lourd bagage, son air facétieux et grave, sa voix profonde et un peu cassée la place toujours sur la crête des sentiments avec une justesse de ton et d’interprétation incroyable. François Cognard ne démérite pas face à sa partenaire dans le rôle de Paul, le passionné écorché par la vie, aussi convaincant dans ses colères que ses émerveillements.
André Nerman offre ainsi un Darius d’une grande subtilité, vivant, émouvant, vibrant, sans jamais verser dans le pathos. Une histoire d’amour et de résilience d’une très grande beauté. |