Comédie
dramatique de Alan Bennett, mise en scène de Laurent
Pelly, avec Charlotte Clamens, Nathalie Krebs et Christine Brücher.
Dans "Talking heads",
l'auteur dramatique britannique Alan Bennett
a composé des monologues détonants donnant la
parole, une parole dont elles s'emparent sans réserve
d'où le joli titre français de "Moulins à
paroles" donné par son traducteur Jean-Marie Besset,
à des femmes banales, dont le point commun est une infinie
solitude de papillon qui se heurte sans fin contre la vitre
et dont la vie, malgré sa vacuité, finit par sortir
de l'ordinaire sous sa plume drolatique.
Ces monologues d'une concision, d'une richesse dramaturgique
et d'un humour décapant non exempt d'humanité,
relatent autant de tragédies du quotidien, celles qu'on
trouve au coin de la rue, et ici derrière les façades
des coquets pavillons de province à la fameuse pelouse
taillée au ciseau à ongles dans lesquels des femmes
totalement lucides, mais qui préfèrent ne pas
prendre toute la mesure de la réalité, se trouvent
confrontées à certains événements
qui les placent au bord de la folie ordinaire.
Dans une traduction particulièrement subtile de Jean-Marie
Besset qui restitue avec fidélité la musique de
la langue anglaise, le suspense à la manière british
qui y est instillé et l'humour de l'auteur sans céder
à la littéralité, Laurent Pelly a choisi
de monter trois soliloques, "Une femme sans importance",
"Nuit dans les jardins d'Espagne" et "Femme avec
pédicure".
Un choix judicieux car il est composé de pièces
au registre différent, de la tragédie pathétique
à la comédie loufoque en passant par la tragi-comédie,
dont le point commun est la satire sociale et les relations
homme-femme. Il est difficile d'en dire plus sans déflorer
une intrigue au dénouement inattendu.
Pour ces formats courts écrits initialement pour la
télévision, il a adopté une mise en scène
cinétique qui procède par montage de scènes
avec des gros plans au cadrage frontal - il précise s'être
inspiré des reportages-documentaires à la "Strip-tease"
- qui se déroule dans un décor particulièrement
réussi de Chantal Thomas qui intègre l'esthétique
des années 70.
Sur scène, pour porter ces soliloques effrayants ou
désopilants, Laurent Pelly a fait appel à des
comédiennes aguerries au talent aiguisé qu'il
connaît bien tant pour les avoir déjà distribuées
tant dans ces textes en 1993 que, pour deux d'entre elles, en
2008 dans deux opus de Ionesco, "Jacques ou la soumission"
et "L'avenir est dans les œufs", qui ont ravi
le public du Théâtre de l'Athénée-Louis
Jouvet.
Christine Brücher ouvre le feu avec le roman-photos d'une
l'employée engluée dans la solitude à laquelle
elle apporte toute sa finesse de jeu. Nathalie Krebs est parfaite
dans l'apparent détachement de l'épouse-jardinière
et Charlotte Clamens se montre totalement désopilante
dans le rôle de la vieille ingénue qui découvre
les fonctions insoupçonnées du pied.
Totalement jubilatoire, autant dans l'émotion que dans
le rire, le spectacle est un petit bijou a voir absolument. |