En marge de leur double concert à l’Echangeur, toujours
sous le haut patronnage de l’équipe des Instants Chavirés,
le collectif montréalais Silver Mount
Zion se prête au jeu de l’interview par l’intermédiaire
de deux de ses membres francophones Thierry Amar
(contrebasse) et Scott Levine (batterie,
guitare, oud, chant). Si le groupe reste énigmatique, il
s’efforce de ne pas être mal compris et donne ici quelques
clés pour décrypter leur communauté vivante,
atypique et passionnante.
L’évolution entre les trois albums
aussi bien du point de vue de la formation que de la musique est
frappante. Comment cela s’est il passé ?
Thierry : Je pense qu’il y a eu une décision
consciente de vouloir rajouter des membres et de vouloir rajouter
de la voix aussi. Du premier album au deuxième, on est passé
de deux membres à six ce qui donne un peu plus de corps au
son du groupe et puis on a ajouté des voix.
Pour le troisième disque on s’est découvert
véritablement en tant que musiciens, on a redécouvert
une identité de groupe qui a beaucoup aidé. C’est
beaucoup plus facile de faire de la musique quand tu te découvres
comme un agent qui fait partie d’une famille. Et puis c’est
venu comme ça, dès qu’on a recommencé
à pratiquer pour la tournée. Pour moi en tous cas
c’était devenu clair ce qu’il fallait faire,
la manière dont il fallait arranger les morceaux. On dirait
qu’on savait quoi contribuer et quand.
Donc maintenant l’évolution de Silver
Mt. Zion est achevée ?
Thierry : Pour moi ce n’est définitivement
pas quelquechose qui est figé, on sent qu’il va y avoir
d’autres aspects qui vont ressortir avec le temps mais je
ressens une identité stable, presque adulte si on veut, ce
qui n’existait pas avant parce qu’on était un
groupe qui commencait et qui s’arrêtait etc… donc
on avait le temps de penser à beaucoup de choses entre temps,
et au final beaucoup de désir de vouloir transformer Zion
en véritable projet… Les gens en parle toujours comme
un side-project, pour nous cela ne l’a jamais été.
Même Godspeed (Thierry fait également partie du collectif
GY !BE) dans un sens, c’est la même chose pour nous
: on pratique, on fait une tournée et puis ça arrête.
Et puis il y a en ce moment un désir dans ce groupe-là
d’être un groupe qui pratique constamment.
Scott : Pour moi, comme nouveau membre, pendant cette
tournée avec tout le processus de pratiquer, j’ai l’impression
que c’est devenu un vrai groupe, et l’identité
de ce groupe c’est Zion et ce que cela représente pour
tous les membres : c’est vraiment ensemble qu’on est
dans un projet collectif.
Et au niveau de la composition aussi cela reste
collectif ?
Thierry : Je dirai qu’en général
oui ça l’est. C’est sur que Efrim va contribuer
avec les textes, il est d’après moi très doué,
mais malgré son talent parfois il va quand même partager
ses doutes avec les gens. Mais vraiment les textes c’est lui.
C’est sûr qu’ensuite pour la musique c’est
dur de tout retracer, mais chacun amène ses petites phrases.
Au final il en a sans doute amené plus, surtout sur le premier
album, on a fait les arrangements ensemble mais il a écrit
beaucoup pour ça. Pour le deuxième et le troisième
je dirai que c’est là qu’on contribue en tant
que groupe par ce qu’apporte chacun.
Je remarque que l’écriture de vos
chansons a été sérieusement remanipulée
pour la tournée, notamment les vieux titres…
Thierry : L’enregistrement de nos disques c’est
un croquis, une esquisse qu’on met sur ruban, et après
on rajoute des choses pour que le disque tienne le coup et puis
quand tu veux les jouer en concert il faut que tu compenses tes
limites. Il faut repenser, reprendre du recul, écouter et
en même temps garder une ouverture d’esprit parce que
non seulement il y a des faiblesse sur le disque, mais même
si on le voulait on ne peut pas être complètement fidèle
au disque… On est surtout devenu un groupe qui peut jouer
un morceau de différentes manières, on ne peut pas
savoir comment on va jouer dans un an Babylon, sans doute pas de
la même façon, et j’aime ça. En général
les gens dans les groupes ont tendance à enregistrer et puis
à recopier la même chose en concert avec le même
son… j’aime cette tendance un peu folk ou jazz, d’être
capable de reprendre un vieux morceau et de completement le retravailler,
rajouter un petit morceau à la fin, etc… Cela reste
vivant comme cela.
Scott : Je pense que c’est un processus du groupe
de repenser les arrangements en ajoutant des nouveaux membres et
ainsi de rajouter des possibilités, d’ajouter des batteries
ou des guitares par exemple. Et aussi pour moi pas mal des nouvelles
chansons jouées pour cette tournée évoluent
par la répétition, pendant la tournée on pratique
même pendant la balance et il y a toujours ce processus de
création qui a lieu.
En même temps, pour la tournée vous
avez une setlist très fermée et réduite (la
veille Ian est venu après le deuxième rappel nous
dire que le groupe ne pouvait revenir sur scène parce qu’il
n’avait plus rien à jouer).
Scott : En fait hier soir ce n’était
pas vrai.(rires)
Thierry : Ca n’est pas très clair ce
qu’il s’est passé hier soir je trouve. En fait
je ne sais pas quoi dire… il y a eu quelques problêmes…
Bon c’était juste une manière de dire que c’était…
fini.
Donc en réalité vous avez d’autres titres
en stock ?
Thierry : Oui quelques uns… Tu sais, il y a
des choix qu’on a fait, on a beaucoup travaillé pour
avoir le peu qu’on a maintenant, il y a des morceaux qu’on
a voulu faire et qui ne marchaient pas, il y a des morceaux qui
ne rendraient pas bien sans piano donc qu’on enlève
de notre répertoire. For Wanda c’est une chanson du
trio pour moi, avec un piano, une contrebasse, etc… Pour le
moment on ne la joue pas. C’est dur la dynamique d’une
tournée, rajouter un piano par exemple c’est impensable,
la place… on y a pensé avant la tournée et cela
ne veut pas dire qu’on ne pourra jamais faire des pièces
où le piano est essentiel. Mais bon ce soir on va en faire
quelques une des nouvelles.
Parrallèlement à Silver Mt Zion, vous
venez tous les deux de sortir un nouveau disque sur Constellation
au sein de Black Ox Orkestar, ce disque est entièrement chanté
en yiddish, avez vous la préoccupation de rester incompris
?
Scott : En fait pour moi chanter en yiddish, c’est
chanter dans une langue qui est morte et c’est quand même
un moyen de se concentrer sur la musique. Je trouve que Black Ox
c’est très émotionnel, donc je ne pense pas
que cela crée une distance.
Thierry : Oui. Moi par exemple, je ne comprend pas
le yiddish et quand j’ai entendu ces morceaux pour la première
fois, parce que ca fait longtemps qu’on les joue ensemble,
je n’avais aucune idée de ce dont il parlait, cela
m’a rendu curieux parce que la musique parle aussi, elle dit
des choses, de mélodies, des changements d’accords…
Peut être que c’est différent pour tout le monde
mais pour moi… Ca me rend curieux, ça me donne envie
de chercher ce que ça veut dire, je n’irai pas faire
des recherches parce que lui sait ce que veut dire, mais je pense
que les gens curieux vont peut être essayer… Mais pour
revenir à ta question, à l’origine ce n’est
pas un désir conscient de chanter en yiddish...
Scott : Ce qui est sûr c’est que ce n’est
pas le désir de cacher la signification ou des trucs comme
ça. On joue dans une tradition de la musique juive, je trouve
que c’est comme pour le premier morceau qu’on joue sur
le nouvel album de Mt. Zion.
Celle avec les chœurs.
Scott : Oui c’est ça. Et dessus on chante
le solfège (le nom des notes : la la sol la etc) , mais il
n’y a pas de véritable parole et je pense que ca donne
un effet de concentration sur la musique parce qu’on entend
des voix, l’arrangement et tout ça. Mais je trouve
que c’est très communicatif malgré tout.
Je vois, mais pas de manière explicite, vous
laissez la possibilité à l’auditeur de se réapproprier
la chanson.
Thierry : Je pense que oui. On pourrait dire ça
de Godspeed aussi, il y a des guides et un cadre à tout ça.
Ca se voit dans la musique, et dans les textes, dans les décisions
qu’on prend en tant que groupe qui travaille et qui voyage…
Mais dans Mt. Zion il y a un effort avec le dernier album d’exprimer
des sentiments qui ont rapport avec notre communauté immédiate
mais qui en même temps peuvent être appliqués
à d’autres communautés qui ne savent peut être
même pas qu’ils font partie de cette petite communauté
là. On a des choses en communs partout, des gens à
Paris, à Montreal... Mais c’est ouvert aussi
Et cette communauté n’a t’elle
pas tendance à se replier sur elle même ? Notamment
en ce qui concerne la musique que vous écoutez, n’y
a t’il pas la tentation de rester en vase clos?
Thierry : Pour moi ce que j’écoute c’est
entièrement à l’extérieur de la communauté.
J’écoute rien de Constellation… Bon occasionnellement
je vais peut être mettre un Franckie Sparo parce que le dernier
(Arena Hostile) je trouve que c’est un chef d’œuvre
que j’arrive à écouter régulièrement.
Pourtant j’ai travaillé dessus et c’est rare
qu’on arrive à écouter quelque chose comme Mt
Zion ou Godspeed, des projets dans lesquels je suis impliqué
sérieusement. Tu travailles dessus pendant des heures, tu
fais des prises de son, t’attends que les disques reviennent
du presseur et puis ils sont pas bons, etc… il y a un processus
épuisant. J’arrive à écouter certaines
choses…Fly Pan Am moins par exemple même si je les adore.
Mais autrement ce que j’écoute, cela n’a rien
à voir avec tout cela.
Des groupes ou des styles en particulier ?
Thierry : Je pense que ça prendrait quatre
heures et cela pour chacun des membres. (rires)
Scott : Vraiment beaucoup de choses…
Bon d’accord je n’insiste pas,
pour revenir à Black Ox Orkestra, est ce que vous trouvez
que votre musique apporte quelque chose de nouveau et qui trouve
sa place dans le catalogue de Constellation ?
Scott : Au début avec ce groupe on jouait
à Montréal…ça fait trois ans qu’on
a commencé (depuis 99 en fait) on jouait de la musique juive
uniquement pour présenter des spectacles pour danser avec
de la musique sociale, juste pour faire quelque chose de différent,
et au final on a trouvé que dans cette musique, il y a quelque
chose dans les mélodies, dans les sentiments, les émotions
qui sont applicables aux gens qui écoutent la musique de
Constellation.
Thierry : Je trouve qu’à travers ce groupe
on est passé d’un groupe traditionnel à une
groupe qui a appris à se connaître énormément.
Et puis je pense qu’en général cette musique
là, elle est interprêtée souvent de la même
facon, souvent de manière stérile et plate sauf sur
les enregistrements anciens, qu’elle n’a pas de vie.
J’exagère un peu mais je trouve qu’avec toutes
nos faiblesses et tous nos talents on a quand même réussi
à faire quelque chose qui était vivant, qui était
une interprétation traditionnelle mais en même temps
en résonnance. Et puis il y a des morceaux qui ont vraiment
un coté original. Cela va être un projet à part
entière avec sans doute d’autre disques et peut être
une tournée, on verra.
Pour finir, une question tradionnelle du webzine,
s’il fallait résumer votre musique en trois mots ?
Scott : Ouch, je suis très mauvais pour ça.
Thierry : Pfff… Non je ne peux pas. Si
j’y pense je viendrai te voir mais…
Pas de problême, merci beaucoup et à
bientôt.
|