Pour l’ex-chef de file de la chanson "minimaliste", ce grand concert parisien représentait le point d’orgue (plus du tout Bontempi !) d’une année exceptionnelle : alliant qualité et quantité, son dernier album l’a vu renouer avec une inspiration qui, si elle ne faisait pas totalement défaut aux disques précédents, s’était diluée dans des parti-pris orchestraux discutables. Recentré sur une formule proche des débuts, La Musique (et son corollaire La Matière) est sans nul doute son œuvre la plus aboutie des années 2000… dix ans après le précédent pic Remué.
Très logiquement, le concert a pioché en abondance dans ce nouveau répertoire : 11 titres de La Musique et 6 de La Matière réinterprétés par un groupe solide (2 guitares, batterie, synthé), ajoutant une belle énergie rock aux arrangements synth-pop initiaux. Si les (déjà) classiques "Le Sens", "Immortels" ou "Le Bruit Blanc de l’Eté" ont aisément subjugué, certains morceaux qui avaient paru un peu secondaires sur disque ont pris une dimension insoupçonnée : "Les Garçons Perdus" ou "Je Suis Parti Avec Toi", en particulier, propices à des épanchements électriques synchrones entre Dominique et son petit guitariste-star, le beau Thomas Poli.
Côté "oldies but goodies", le répertoire proposait ce soir-là trois extraits d’Auguri, deux de Tout Sera Comme Avant ("Revenir Au Monde" et "Les Eoliennes"), La Mémoire Neuve ("Le Métier de Faussaire", "Le Twenty-Two Bar") et La Fossette ("Sous La Neige" et "Le Courage des Oiseaux"). Curieusement, les albums Si Je Connais Harry et Remué ont été complètement ignorés, de même que L’Horizon (pour ce dernier, c’est tant mieux). Côté rareté, on eut droit au magnifique "Endermonde", issu du coffret de démos inédites Les Sons Cardinaux. Enfin, deux morceaux du récent EP Kick Peplum ("Gisor" et "Manset") ont aussi été interprétés.
En nombre de titres piochés, Auguri a donc été l’ancien album le mieux représenté ce soir-là. Si l’on n’avait pas été très emballé par le disque à sa sortie, il faut reconnaître que ses chansons sont devenues, au fil du temps, de véritables morceaux de bravoure : la lourdeur rock-moralisatrice de "Pour La Peau", effet douche froide garanti sur nos (éventuelles) tentations adultérines, contraste avec les couples amoureux du "Commerce De L’eau", qui ne nous avait jamais paru si beaux… Et l’on est saisi par la jubilation du public lorsque débute "En Secret", pourtant l’une des chansons les plus flagellatoires de son auteur !
Certaines des vieilleries ont été joliment dynamitées par la nouvelle formule pop-rock rentre-dedans : le "Twenty-Two Bar" et "Le Courage des Oiseaux", en particulier, avaient rarement aussi bien sonné. Mais le minimalisme a aussi fait une réapparition bienvenue avec "Sous La Neige", joué très proche de la version glacée d’origine : pour le coup, le vieil adage assimilant Dominique à un mix entre Suicide (boîte à rythme/synthés répétitifs) et Barbara (préciosité du chant) trouvait là une parfaite illustration.
Ce contraste (glacial VS chaleureux) est encore accentué par les speechs : Dominique A est un garçon très drôle, et son public plutôt bon enfant. La transition entre interludes vanneurs et chansons solennelles s’avère parfois paradoxale ; et l’artiste prend plaisir à souffler le chaud et le froid jusque dans sa set-list : les gros tubes sont immédiatement suivis de morceaux plus difficiles (souvent issus de La Matière, volet plus expérimental du dernier album), histoire de faire retomber l’hystérie de plusieurs crans.
Ainsi, on a été surpris quand, au terme d’un "Twenty-Two Bar" d’anthologie (qui aurait pu fermer le concert sur une note chaleureuse), c’est le mortifère "Hôtel Congress" qui est venu nous raccompagner vers la sortie… Comme une volonté de ne pas céder à la tentation d’une enfilade de tubes en rappel : méfiance bien connue face à la complaisance séductrice, désir de toujours remettre les pendules à l’heure intègre.
Ce genre de petite raideur (héritée de l’idée de musique "indé") explique sans doute pourquoi le grand public n’a jamais véritablement adopté Dominique A… Mais c’est aussi ce qui fait son prix : cette capacité à ne pas flatter excessivement ses auditeurs dans le sens du poil ; oser encore nous déstabiliser un peu, histoire d’éviter la routine du concert Best-of à la con.
Note : dans un récent billet paru sur le site CommentCertainsVivent.com, le chanteur écrivait tout le bien qu’il pensait de Fantomatisme, dernier album d’Holden : "… pour le mystère niché derrière chaque chanson, chaque son, cette manière qu’ils ont de jouer avec la trame des morceaux, et l’inventivité de la production…".
Assez logiquement, le duo a donc été invité à ouvrir ce concert parisien : l’occasion de réentendre leurs belles chansons dans une configuration sobre (guitare sèche rythmique, soli électriques), et de découvrir un inédit.
Pour la petite histoire : Armelle Pioline portait ce soir-là une petite robe tout à fait délicieuse, qui mettait bien en valeur la grâce de ses textes… |