Comédie de Frédéric Lordon, mise en scène de Luc Clémentin, avec Jean de Coninck, Renaud Danner, Guy Cambreleng, Loïc Risser, Olivier Horeau, Benoît Morvan, Simon Bellahsen et Serge Peyrat.
Un pari de Frédéric Lordon se cache derrière ce titre "D’un retournement l’autre" qui rappelle étrangement le titre d’un roman de Céline, "D’un château l’autre", où l’écrivain racontait les conditions d’exil du gouvernement de Vichy au Danemark après la défaite allemande.
Le pari, rendre cocasses les évènements de l’actualité économique : la crise financière de 2008 qui a suivi l’effondrement des subprimes et le sauvetage des banques par l’Etat. Loin des discours d’expert, Frédéric Lordon a choisi d’écrire en alexandrins, de miner le Molière de "Tartuffe", le Hugo de "Ruy Blas". Une déclinaison du "Bon appétit Messieurs !" où Ruy Blas reprochait aux conseillers de piller le Royaume.
Il s’agit bien de dénoncer, de mettre au jour le comportement des banques qui ont perdu tout sens des réalités, qui, étourdies par les mirages des mouvements boursiers, n’ont plus appliqué les contrôles de rigueur. Ces banques ont accusé l’irresponsabilité d’un Kerviel, des traders gonflés de bonus extravagants à la City quand le système libéral lui-même dans sa totalité porte en germes ces dérives douteuses.
Les banques étaient au bord de la faillite menaçant de faire perdre aux uns leurs épargnes, aux autres leur emploi par le blocage des crédits aux entreprises. Elles se sont retournées vers l’Etat français qui s’est porté garant de leur trésorerie. Pirouette qui montra que la grande auto-régulation des marchés ne se suffisait pas à elle-même et que l’Etat Providence n’était pas à jeter aux orties…pas complètement en tout cas.
"D’un retournement l’autre" est un texte engagé, un texte politique qui pointe les responsabilités, qui aiguise la colère en expliquant simplement ce qui paraît souvent confus et déréglé. Le pas de l’alexandrin martèle, ordonne et s’avance devant les grilles du Château.
La mise en scène de Luc Clémentin traduit l’urgence du spectacle en période électorale, les textes sont lus posés sur des pupitres, les déplacements sont un peu emmêlés. La scène est souvent dans l’obscurité pour souligner les transactions occultes. Les acteurs ont des pantalons découpés aux genoux comme ceux des boys scouts. C’est un perpétuel jeu de faux semblants à l’image de l’œuvre de Damien Hirst le crâne humain recouvert de diamants ou le monochrome de Yves Klein qui président à l’arrière de la scène.
Les acteurs qui incarnent les banquiers (Simon Bellahsen, Arnaud Caron, Jean de Coninck, Olivier Horeau, Benoit Morvan), le Président (Renaud Danner), les conseillers (Serge Peyrat, Loïc Risser) et le Premier Ministre (Guy Cambreleng), un monde exclusivement masculin, déploient une belle énergie pour participer d’une même dénonciation, malgré la contrainte d’être fixés au pupitre.
Seul un conseiller (Loïc Risser), le candide a gardé un pantalon intact et ne joue pas les hommes grotesques ou les marionnettes du Prince. Il propose un autre système, il se soucie du peuple et telle la Cassandre de la Tragédie annonce le retournement populaire, qui demandera des comptes à l’Etat et aux banques. |