Il est des artistes maudits dont les oeuvres ne bénéficient que d'une notoriété posthume et ceux, sans doute moins nombreux qui deviennent des célébrités de leur vivant jouissant simultanément de la reconnaissance officielle et de la faveur des collectionneurs et particuliers avant de tomber dans l'oubli à leur mort.
Parmi ces derniers, tel est le cas de Albert-Ernest Carrier de Belleuse, dit Carrier-Belleuse nom qu'il érigea en marque de fabrique, qui fut le sculpteur du Second Empire et le maître de Rodin.
Le Palais Impérial de Compiègne lui rend hommage avec une exposition monographique, la première qui lui est consacrée, sous forme d'une rétrospective intitulée "Carrier-Belleuse, le maître de Rodin".
Le commissariat est assuré par l'unique spécialiste mondiale de son oeuvre, June Hargrove, professeur d'histoire de l'art à l'université du Maryland, et Gilles Grandjean, conservateur en chef au Palais de Compiègne.
Bénéficiant de prêts exceptionnels de musées français ainsi que du Métropolitan Museum of Art de New York, l'exposition est riche de plus d'une centaine d'oeuvres mises en valeur par la sobre scénographie de Loretta Gaïtis.
Elle permet une bienvenue immersion dans l'histoire de la sculpture française de la seconde moitié du 19ème siècle à travers le panorama des oeuvres et productions, qui s'inscrivent dans toute la gamme des arts plastiques, de Carrier-Belleuse qui en fut, avec Jean-Baptiste Carpeaux, les figures majeures.
Carrier-Belleuse : de la statuaire aux arts décoratifs, une véritable marque de fabrique
Surnommé le "Clodion du Second Empire", Clodion le grand sculpteur néo-classique de la seconde moitié du 18ème siècle lui même surnommé le "Fragonard de la terre cuite" par les caustiques frères Goncourt, Albert-Ernest Carrier-Belleuse incarne non seulement la sculpture du Second Empire, dont il est un des artistes officiels, mais le goût de l'époque.
Pratiquant la sculpture figurative dans un style néo-classique immergé dans un maniérisme néo-rococo,
ce sculpteur protéen totalement atypique cumule les particularismes.
Sa singularité, concilier beaux-arts et arts industriels. Son talent, être un artiste et un entrepreneur qui a le souci et le sens du commerce et qui, de son temps, a fait de son nom une véritable marque de fabrique. Ses atouts : la maîtrise de l'art du dessin et un don pour le modelage de la terre au service d'un naturalisme charnel qui concourt à l'illusion du vivant.
Carrier-Belleuse officie dans tous les registres de la statuaire.
La statuaire d'art en présentant des oeuvres d'artiste spectaculaires dans les grandes expositions et salons, telle la "Bacchante" nu sensuel exposé au Salon de 1863 qui exalte la volupté féminine et correspond au goût de Napoléon III.
Soutenu par l'empereur, il pratique la sculpture décorative pour répondre aux commandes relatives à la décoration de bâtiments publics telles les deux torchères monumentales du grand escalier dans le hall principal de l'Opéra de Paris.
Parallélement, il s'illustre comme portraitiste en réalisant pour une riche clientèle privée les bustes des hommes influents et célébrités contemporaines.
L'engouement pour le portrait le conduit à étendre ses créations au portrait rétrospectif des grands figures historiques ou artistiques du passé qu'il décline de la grandeur nature à la miniature et dans une grande diversité de matériaux afin de les mettre à la portée de toutes les bourses.
Si leur facture est relativement sobre et classique afin de leur conférer la solennité adéquate, en revanche, celle des portraits féminins est caractéristique du style de Carrier-Belleuse qui transpose à la statuaire le foisonnement ornemental qui préside aux arts décoratifs.
Portraits des femmes de l'époque, notamment des actrices telles Marguerite Bellanger, maîtresse de Napoléon III, Hortense Schneider et Aimée Desclée.
Certaines de leurs caractéristiques physiques communes, grands yeux, nez retroussé, bouche mutine, sont érigées en idéal féminin qui sert de matrice à la production, de bustes de fantaisie particulièrement prisés par la bourgeoisie.
La femme constitue sa thématique de prédilection et il substitue à la femme idéalisée et éthérée une femme sensuelle qui constitue l'élément essentiel d'un thésaurus iconographique constitué de nymphes, faunes, bacchantes, satyres et personnages mythologiques qu'il confronte dans des compositions empreintes d'une forte charge érotique particulièrement appréciées par les participants à la "fête impériale".
Il se distingue par la qualité exceptionnelle de ses terres cuites, usant des méthodes empruntées à l'industrie céramique, et auxquelles il donne l'illusion d'une pièce faite à la main ou d'une pièce unique par le retouchage avant cuisson, qui sont customisées par des artistes spécialisés dans les garnitures décoratives
Par ailleurs, il s'est livré à une pratique commerciale intensive de ses oeuvres concourant à une certaine démocratisation des arts décoratifs par la pratique de la diffusion de masse grâce à une
production industrielle usant par ailleurs de toutes les innovations technologiques.
Formé à l'orfèvrerie, Carrier-Belleuse a la passion des arts décoratifs et travaille avec les grandes maisons d’art de l’époque. Il s'y consacrera d'autant plus à la Manufacture de Sèvres dont il assurera la direction pendant plus de deux décennies.
Et là encore ses productions triomphent dans un siècle qui a la passion des bibelots. Son succès tient au syncrétisme entre les traditions céramiques majeures et l'éclectisme du goût de son temps avec à son actif la création d'une gamme de vases se caractérisant par la simplification des formes propice au décor peint, l'introduction de décors originaux très variés, la création d'objets novateurs et la relance du biscuit qu'il utilisera jusqu'au kitsch.
Enfin, Carrier-Belleuse a été le maître de Auguste Rodin et son employeur pendant dix années. La présentation des oeuvres de jeunesse de Rodin permet de prendre la mesure de son influence fondatrice.
Mais déjà, ainsi sur le même thème du portrait féminin, avec le buste de "La Jeune fille au chapeau fleuri", il marque la différence en terme de tension et d'expressivité.
En 1882, Rodin fixe les traits de son maître dans un buste en terre cuite patinée particulièrement éloquent qui ouvre l'exposition. |