Comédie dramatique d'après la pièce éponyme de Hjalmar Söderberg, mise en scène de Jean-Pierre Baro, avec Jacques Allaire, Cécile Coustillac, Elios Noël, Tonin Palazzotto et Michèle Simonnet.
Auteur de nombreuses ouvrages, le dramaturge suédois Hjalmar Söderberg (1869-1941) n'est connu en France que pour sa pièce majeure "Gertrud" et pour son roman monologué, "Docteur Glas" objet l'an passé d'une adaptation théâtrale très réussie d'Hélène Darche à la Manufacture des Abbesses.
Mais c'est surtout la version cinématographique de "Gertrud" qui reste dans les mémoires. Dans cet ultime film de Carl T. Dreyer, salué par Jean-Luc Godard comme l'un des meilleurs films de tous les temps, Gertrud est une héroïne inoubliable, une figure excessive dans ce qu'il n'est pas interdit de considérer comme un sur-mélo romantique d'une beauté crépusculaire.
Dès lors, il faut beaucoup de courage pour tenter de faire revenir "Gertrud" sur scène et a fortiori pour l'incarner.
Relevant le défi avec élégance, Jean-Pierre Baro ne peut cependant pas lutter contre Dreyer. Car, le cinéma a un avantage sur le théâtre : il peut pousser la fausseté jusqu'à faire croire qu'il "est" du théâtre. Ainsi, "Gertrud" est filmé comme une pièce et peut être fier d'être du grand "théâtre filmé", cette expression ordinairement péjorative. Dreyer cumule le beurre et l'argent du beurre : ses acteurs jouent vraiment la pièce mais sans les inconvénients du théâtre, c'est-à-dire sans les changements, sans les impossibles ellipses qui permettent d'éviter toute déperdition.
Maître du temps cinématographique, Dreyer peut même se permettre un rythme d'une extrême lenteur : son temps qui s'écoule comme il le souhaite maintient de toute manière le spectateur davantage dans l'intrigue qu'au théâtre.
Quand on est devant un texte aussi dense que celui de Söderberg, il est important de pouvoir tout comprendre, tout recevoir et tout ressentir immédiatement dans sa complexité. Gertrud est face à trois hommes qu'elle a aimés, trois hommes apparemment différents mais en fait semblables puisqu'ils préfèrent leur réussite à son amour absolu. Elle a beau être une femme intelligente, belle, aimante, "ses" hommes ne sont que des arrivistes, des profiteurs, des prétentieux qui préfèrent le paraître à l'être.
Jean-Pierre Baro réussit à reconstituer sans contresens la problématique de Söderberg. Pourtant, même si son travail est cohérent, soigné, plein d'allant, il se heurte à la difficulté de ce théâtre très "intellectuel", qui nécessite une attention de tous les instants, une attention tellement concentrée qu'elle se perd sur une trop grand scène.
On lui saura gré d'avoir trouvé en Cécile Coustillac une "Gertrud" fougueuse, sensuelle, crédible dans sa colère face à des hommes, des "mâles" qui ne la méritent pas. Peut-être aurait-il fallu qu'il fasse appel à des acteurs plus âgés pour que les mots précis de Söderberg prennent plus de densité, mais aucun de ceux qu'il a choisis n'est à blâmer.
Les spectateurs venus sans avoir la mémoire du film de Dreyer suivront sans problème cette version très romanesque et trouveront bien des correspondances entre la haute société suédoise du début du vingtième siècle et la nôtre. Peut-être faut-il faire d'une pierre deux coups : voir d'abord "Gertrud" montée par Jean-Pierre Baro puis découvrir le chef d'oeuvre du 7ème art de Carl T. Dreyer. |