Que savaient les français du nazisme ? Voilà la question principale que se pose Alexandre Saintin dans son dernier ouvrage, intitulé Le vertige nazi, publié aux éditions Passés Composés. Agrégé et docteur en Histoire, Alexandre Saintin est spécialiste de l’Allemagne nazie et de l’histoire intellectuelle de la France durant l’entre-deux-guerres.
Dès 1933, nombreux sont les intellectuels français à aller à la rencontre d’Hitler et à la découverte du Troisième Reich. Ils sont journalistes, reporters, professeurs ou encore hommes de foi, et s’expriment souvent dans la presse à grand tirage. Quittant une France jugée atone, voire décadente, pour se rendre en Allemagne, certains rêvent à l’émergence d’une société renouvelée suivant le modèle nazi, inspirateur d’une régénération nationale française. D’autres, lucides et attentifs aux méthodes de la dictature, s’attachent dans leurs récits à raisonner plus juste et à défaire les ruses de la barbarie.
La préface nous rappelle tout d’abord que le voyage politique est un genre littéraire en soi et qu’il a atteint son apogée dans l’entre-deux-guerres avec trois régimes politiques particuliers en URSS, en Allemagne et en Italie.
L’ouvrage cherche à identifier les itinéraires d’intellectuels ayant rencontré en terres allemandes différents acteurs du national-socialisme, pour en rapporter un sentiment, une analyse, et parfois une proposition. Il est intéressant de voir les engagements de ces auteurs à leurs sources, dans les années 30 pour bien cerner leurs persistances et leurs revirements durant la Seconde Guerre mondiale.
Dans un premier chapitre éclairant, l’auteur nous donne une explication concernant l’intérêt fasciné ou inquiet des intellectuels français vis-à-vis du bouleversement national-socialiste. On voit ensuite les pratiques touristiques que le nazisme imposait aux visiteurs touristiques, au travers d’une propagande totalement maîtrisée. On y voit un régime allemand favorisant un tourisme de groupe, des avantages tarifaires et l’organisation de grands évènements avec une forme de tourisme spectacle.
L’auteur nous propose aussi un chapitre très intéressant concernant les opposants en Allemagne, ceux qui refusaient le nazisme, qui furent aussi la quête de voyageurs en Allemagne. Un autre est consacré aux voyages d’antisémites convaincus. On y voit que le sort fait aux juifs occupa une place obsessionnelle dans certains récits.
Après un chapitre consacré aux voyages à Nuremberg, notamment lors des grands congrès, l’ouvrage nous montre ensuite comment la collaboration d’Etat offrit à certains écrivains un cadre légal d’expression et de circulation outre-Rhin qui leur permet de se mettre au service de l’art propagande germanique. Certains seront d’ailleurs dénoncés par la presse clandestine résistante, objet d’un chapitre dans l’ouvrage qui traite des condamnations de certains quand d’autres y échapperont.
L’ouvrage d’Alexandre Saintain est vraiment un très beau projet, celui de retracer les itinéraires de ces intellectuels français, sans instruire de procès, en relisant les engagements de ces hommes à la lumière de leurs productions littéraires, de leurs expériences sur le terrain, mais aussi des enjeux de carrière que ce voyage pouvait servir. Le vertige nazi est de nouveau une excellente lecture proposée par les éditions Passés Composés. |