Musique sep Théâtre sep Expos sep Cinéma sep Lecture sep Bien Vivre
  Galerie Photos sep Nos Podcasts sep Twitch
 
recherche
recherche
Activer la recherche avancée
Accueil
 
puce puce
puce Jean-Laurent Cochet
Entretien de mai 2008  (Paris)  30 mai 2008

Pour cet entretien de mai 2008, Jean-Laurent Cochet nous reçoit avec une boite de chocolats à la main, encore tout étourdi des remerciements et témoignages reçus à l'occasion de la première des représentations de "Correspondance inattendue", qui a eu lieu le 27 mai 2008 au Théâtre Tristan Bernard et qui propose de découvrir un texte de Sacha Guitry, "inconnu" de beaucoup, écrit sous la forme épistolaire.

Son salon embaume telle une serre d'été envahi de bouquets odorants et l'entretien, qui nous mène du théâtre à la vie, a raison de la dégustation chocolatée.

 

Sacha Guitry et la "Correspondance inattendue"

Vous êtes actuellement, avec Pierre Delavène, sur la scène du Théâtre Tristan Bernard pour proposer au public de prolonger le bonheur de découvrir ou de redécouvrir Sacha Guitry, dont vous avez mis en scène et interprété "Aux deux colombes" cette saison au Théâtre Pépinière-Opéra. Pouvez-vous éclairer les spectateurs qui sont venus ou qui viendront sur la genèse de ce spectacle ?

Jean-Laurent Cochet : La genèse est toute simple. J'avais un grand ami, merveilleux comédien, qui s'appelait Pascal Mazzotti qui était un grand dénicheur de choses rares, un homme cultivé, érudit, qui connaissait plein de choses, qui fouinait tout le temps. Il m'avait offert pour une générale, il y a déjà longtemps, cela doit bien faire 35-40 ans ce livre que j'ignorais complètement - comme tout le monde encore maintenant - qui s'intitulait "Correspondance de Paul Roulier-Davenel". Ce livre, complètement étonnant, qui avait été édité à quelques centaines d'exemplaires, a été écrit par Sacha Guitry en 1910, alors qu'il avait 25 ans, et la veille de l'année du "Veilleur de nuit".

Il en profite pour évoquer beaucoup des  personnages, qu'il a lui-même croqué puisqu'il dessinait admirablement, à travers une correspondance entre lui et un certain Monsieur Paul Roulier-Davenel, dont il prend bien soin de nous dire, dans la préface, de ne pas écouter ceux qui diront qu'il n'a pas existé. Alors qu'en définitive, il a complètement créé ce personnage, qui n'a jamais vécu, comme  s'il s'agissait d’un ami de son père, un grand cavaleur devant l'éternel et un auteur très illustre, par sa médiocrité surtout. Il raconte les circonstances dans lesquelles il l'a connu et ils échangent des lettres.

Cette  lecture m'a fait hurler de rire car en plus c'est très drôle, l'idée de ce personnage auquel il arrive à nous faire croire - d'ailleurs  je vous dirai après des choses étonnantes qui se passent au Théâtre où nous jouons - à l'existence de ce personnage et on finit par s'intéresser à ses propos. On arriverait presque à oublier que tout ce qu'il dit c'est Guitry qui l'écrit et cela prête le flanc à des gens qui s'égarent ou qui sont déroutés. Et puis, à travers ces lettres, il en profite pour faire des portraits de grands personnages de l'époque, dont celui de Lucien Guitry.

On va de la chose la plus cocasse, la plus scabreuse parfois, la plus inattendue, et, comme il a tellement d'esprit, cela va jusqu'à l'humour, jusqu'à des choses surréalistes et cela avec des textes d'une profondeur incroyables sur le théâtre, sur l'amour, la critique dramatique qui en prend "un grand coup sur la gueule", ce qui n'est pas des plus ennuyeux, loin de là, et tout cela existait dans ma bibliothèque comme peut être encore chez certains bouquinistes, encore que ceux à qui j'en ai parlé ne la connaissait pas. Lorsque La Poste, qui est un grand mécène, qui organise des soirées uniques autour de correspondances, thème autour duquel on tourne toujours un peu en rond en faisant un peu toujours les mêmes, comme la correspondance de George Sand et Musset, m'a sollicité en me demandant si j'avais des idées.

J'en avais quelques unes qui auraient pu être originales et c'est Pierre Delavène, une fois encore, Deus ex machina, qui m'a suggéré de proposer la correspondance de Paul Roulier-Davenel. J'ai trouvé l'idée merveilleuse mais encore fallait-il que cela les séduise car c'est complètement apocryphe et inventé. Nos interlocuteurs de La Poste ont été enthousiasmé par cette idée et nous avons donc fait un gala avec cette correspondance qui, cependant est différente du spectacle que nous présentons au Théâtre Tristan Bernard car il ne comprenait pas le trépied avec les reproductions des caricatures, qui est un ajout très scénique.

Pour notre spectacle, nous avons aussi réintégré des coupures que nous avions faites, et le spectacle dure maintenant une heure, ce qui est exactement ce que nous avait demandé le directeur du Théâtre Tristan Bernard puisque le spectacle commence à 19 heures et finit à 20 heures avant l'autre spectacle du soir, sauf le samedi où c'est à 16 heures. Il s'agit d'un horaire que j'aime beaucoup, autant je n'aime pas tellement les matinées comme celles du dimanche à 15 heures où les gens viennent ronronner pendant la digestion. L'horaire de 19 heures est comme une soirée mais on en sort tôt ce qui permet même d'aller voir un autre spectacle, même s'il n'y a pas grand chose à voir, mais on dispose quand même d'un peu de liberté.

Nous avons donc construit ce spectacle avec Pierre et il s'agit de la correspondance intégrale qui n'avait, bien sûr, jamais été présentée sur un plateau, et qui devient théâtrale bien que ce soit deux messieurs qui lisent cette correspondance avec toutefois quelques petites remarques et interventions. Cette soirée se présente comme une soirée entre amis, avec le public, à qui on propose de faire découvrir la correspondance de "ce vieux cul".

Ce qui est extraordinaire - sauf pour les gens qui sont très au fait de l'humour de Sacha Guitry et de ses canulars, car c'était un homme d'une grande fantaisie, et c'est la raison aussi pour laquelle nous avons intitulé le spectacle "Correspondance inattendue" car si nous avions gardé le titre original "Correspondance de Paul Roulier-Davenel" cela aurait perdu les gens qui déjà en ce moment ne savent pas trop à quoi ils vont - c’est que des personnes nous ont dit à la sortie du spectacle : "Mon Dieu, que c'est drôle intelligent et qu'est-ce qu'on rit ! Mais le texte est de qui ?". C'est surprenant. Certains pensent que c'est moi qui a construit cela à partir d'extraits de textes de Guitry, d'autres que Paul Roulier-Davenel a vraiment existé. D'autant qu'il y a un mélange de tons très étonnant.

Il y a des choses d'une grande cocasserie et d'autres d'une grande véhémence, très mordantes quand il parle des critiques, justement, ce qui lui permet de dire tout ce qu'il voulait dire sous couvert d'un personnage dont il avait même fait la caricature. Voilà pour la genèse et je crois que nous avons bien fait. Il faut que les gens viennent en masse, le public s'amuse beaucoup, car il y a plein de comiques différents, entre des choses très subtiles et des choses plus surprenantes venant de Guitry. C'est très amusant à faire avec Pierre et nous nous amusons beaucoup car non seulement c'est agréable, c'est du bonheur, c'est un beau texte à dire et, en même temps, c'est différent chaque soir car, plus qu'une pièce "normale" où les effets finissent par s'inscrire, tous les soirs on ne sait pas si tel mot qui a tant fait rire la veille fera même seulement sourire le lendemain.

On retrouve cela à travers la qualité d'écoute des gens et c'est très agréable. Ceux qui viennent sortent ravis et je leur précise néanmoins, à la fin, pour ceux qui seraient encore un peu dans le doute, que tout ce qu'ils ont entendu et vu est de Sacha Guitry, dont les dessins, qui sont absolument géniaux, comme celui d'Ibsen qui est fait de 14 traits de crayon. Il parle de tout avec une liberté étonnante. Et puis nous sommes bien dans ce théâtre. C'est un très joli théâtre, très personnel et élégant et en définitive très central à 300 mètres de la Gare Saint-Lazare.

Il parle effectivement de tout et pas seulement de théâtre puisqu'il évoque aussi le music hall, et ses figures de l'époque, registre dans lequel il a fait ses premières armes.

Jean-Laurent Cochet : Il règle parfois ses comptes avec certains mais toujours sans méchanceté sauf quand il s'agit des critiques - et alors là ce n'est que justice - qu'il considère comme nuisibles et qui étaient quand même, à l'époque, plus intelligents que ceux de maintenant car ils avaient une culture et des connaissances. Sous couvert de Paul Roulier-Davenel, il dresse le portrait de Paulus, Dranem, Maillol, et c'est superbe, c'est une grande découverte car on apprend à les connaître au familier comme lui les avait connus

Ce qui est intéressant en dehors de cette galerie de portraits c'est également le fait de trouver déjà les grands thèmes et ses conceptions, qu'il abordera dans son œuvre.

Jean-Laurent Cochet : On y retrouve toute son oeuvre. C'est comme dans "Le veilleur de nuit", écrit l'année suivante. Je suis stupéfait de ce qu'il fait dire au personnage que j'ai joué dans cette pièce, qui est un monsieur de 70 ans, comme s'il avait vécu tout cela tout au long d'une vie alors qu'il n'avait que 26 ans. Certes, il était le fils de Lucien Guitry et a vécu au milieu des grands hommes mais cela ne suffit pas et il n'a pas fait que répéter des aphorismes ; il avait un pressentiment des choses, une imagination, un don d'observation, une psychologie, il était génial cet homme-là, et toujours en se divertissant et en amusant les autres.

A-t-il ultérieurement utilisé ou fait des commentaires sur cette correspondance ?

Jean-Laurent Cochet : Jamais. Il n'est jamais revenu dessus et cela ne fait même pas partie - il n’est toujours pas dans La Pléiade, ce serait trop beau - de ses oeuvres complètes. C’est très étonnant. Je n’y aurai peut-être pas pensé sans Pierre à qui je l’avais offert. J’ai trouvé son idée formidable. Les gens se réjouissent bien et puis, nous sommes bien dans ce théâtre. C’est un joli théâtre, un théâtre très personnel, très élégant et très accessible puisqu’à 300 mètres de la gare Saint Lazare et à 200 mètres de Villiers. Les gens sont bien dans une salle où l’acoustique est bonne. On est bien heureux.

Un théâtre pour les élèves

Lors de la dernière Master Classe, parlant de la qualité des élèves de votre cours et de la pluralité d'emplois qu'ils pouvaient jouer, vous avez évoqué l'éventualité de disposer d'un lieu qui permettrait de faire jouer les classiques et de donner leur envol à vos élèves.

Jean-Laurent Cochet : Il n'y a pas anguille sous roche. Quand on me disait "Tu ne penses pas, de nouveau, à un théâtre ? " je répondais : "Mais je n'ai jamais pensé à avoir un théâtre" pour des tas de raisons. Je considère que ce n'est pas mon métier en tant que gestionnaire, même si je le pourrai faire aussi bien que d'autres. La direction d'un théâtre devient quelque chose d'épouvantable. Les circonstances avaient fait que, en fonction de mon cours, des jeunes comédiens que je souhaitais promouvoir et de tout ce répertoire classique qu'on défigurait à la Comédie Française ou ailleurs, j'en avais parlé devant des personnalités qui avaient eu les capacités et la volonté, à l'époque, de me proposer un lieu et c'était le Théâtre Hébertot où je me suis retrouvé chez moi.

Mais je me retrouve aussi chez moi chez Edy Saiovici ou dans d'autres théâtres qui sont dirigés par des amis à moi, et, quand je viens y jouer ou faire des mises en scène, ils m'accueillent comme si c'était ma maison. Mais ce ne sont pas mes théâtres. Cela ne me tente pas du tout d'avoir un théâtre, ni pour le diriger, ni pour présenter des spectacles avec toutes les angoisses de vouloir un spectacle pour un an, "pourvu que ça marche!" et puis après quel spectacle monter ?. C'est le délire, c'est très fatigant et très difficile. Il n'y a pas de répertoire contemporain réel, il faut jouer avec des vedettes en tête d'affiche... Je plains les directeurs de théâtre et je respecte beaucoup ceux qui s'en sortent.

Ce que je voulais dire, c'est que je vois effectivement chez moi depuis quelques années, cela se compte par dizaines, des comédiens de tous emplois, de tous âges et, pour les plus jeunes, de tous physiques, qui sont absolument extraordinaires, rarissimes, et prêts à jouer. Je ne parle pas des tous nouveaux qui, au bout de 2 mois, ont fait des progrès merveilleux mais qui font leurs classes mais de ceux qui ont suivi 2-3 ans de cours, et certains font déjà leur métier, comme Arnaud Denis, et qui sont des purs produits du cours qui se sont pris en main en créant leur propre compagnie. Mais tous n'ont pas cette combativité et ce tempérament et, quand je vois défiler à mon cours public, les gens qui me donnent les scènes qu'ils me donnent et qui pourraient jouer la pièce entière si on les montait, qu'il s'agisse des classiques ou, comme ils ont montré l'autre jour à la Master classe publique, Yasmina Reza ou Julien Green.

Ils peuvent jouer tout le répertoire. Ils sont une bonne trentaine à pouvoir jouer dans un lieu qui serait le nôtre, en alternance, sans vouloir monter une pièce pour qu'elle puisse durer 8 mois. Non, une espèce de théâtre de l'avenir, de théâtre de la jeunesse, où ils peuvent jouer des rôles sans que ce soit des exercices, loin de là. Voilà ce qui m'intéresserait : pouvoir monter ce que j'ai envie de monter en alternance avec ces élèves comme je peux le faire ailleurs, comme en Vendée où nous avons offert, au public et aux élus, un spectacle qui a été quelque chose d'exceptionnel de qualité de variété, de difficulté et de bien être. Ce serait simplement s'implanter pour rassembler au lieu que soit parfois dispersé ou essaimé tout ce public qui nous suit merveilleusement.

Le public que nous avons suffirait à remplir, en régulier, une salle de 300 places, ce qui est déjà beaucoup ! On n'en demande pas davantage. J'ai soulevé cette idée à plusieurs reprises quand je vois les scènes qu'ils donnent au cours auquel assiste le public qui vient pour un cours et qui, en définitive, assiste à un spectacle comme s'il était allé au théâtre. Pourquoi ne pas l'épanouir encore et au lieu de deux scènes jouer la pièce dans son intégralité ? Il y a de quoi élaborer une alternance extraordinaire et sans avoir à aller chercher les vraies ou fausses vedettes. Si certains d'entre eux veulent se mêler à nous, comme Lucchini, pourquoi pas ?

Ce qui me fait plaisir, récemment, une dame vient à me donner à lire un papier, je ne dis pas critique parce que c'est plus beaucoup intelligent, sur "Les fourberies de Scapin" joué actuellement par la compagnie de Arnaud Denis et qui rend hommage à travers ce spectacle et le travail d'Arnaud Denis et des autres comédiens en écrivant que ce spectacle est le triomphe de l'école Jean-Laurent Cochet c'est-à-dire une école du bon sens, des comédiens qui articulent, qui ont du mouvement, du rythme. Elle fait son article sur l'enseignement du cours. Je trouve cela formidable, cette filiation. Et nous pourrions en faire connaître bien d'autres. Bien sûr, nous pourrions organiser ces fameuses auditions où on invite des gens qui ne viennent pas. Tout le monde se plaint qu'il n'y a pas d'acteurs et ils vont les chercher dans des cours à la mode, un peu snobs, ne trouvant personne et on les engage quand  même et cela donne ce que nous savons.

Mon agent m'a dit il y a quelques jours que si je le faisais, cela bénéficierait quand même d'une audience auprès des agents, des programmateurs de salles. Effectivement, on pourrait le faire une fois tous les six mois en présentant des élèves, les meilleurs, dans une scène ou deux, à l'instar de ce que nous faisons au cours publics du lundi. D'ailleurs ces personnes pourraient venir, eux, aux cours du lundi. On ne peut pas toujours se traîner aux genoux de tous les gens qui n'ont pas d'eux-mêmes la curiosité ou la passion de cela. Bien sûr, il faut présenter ces jeunes comédiens qui, comme ils sont de vrais comédiens, n'ont pas le culot de ceux qui n'ont pas beaucoup de qualités et qui les remplacent par du matuvuisme (comme dit Guitry dans notre spectacle) et partent tirer les sonnettes. Il faut le faire, car c'est indispensable, mais ce n'est pas commode et pas toujours agréable. Je ne sais pas si c'est une idée que je verrai se réaliser ou alors il faudrait que cela se fasse à court terme.

Les personnes qui vous entourent ont-elles envie de creuser cette idée ?

Jean-Laurent Cochet : Oui. Il faudrait simplement prendre l'idée plus au sérieux et tenter de la concrétiser. C'est Pierre Delavène qui s'occupera de cela, le construira, car il en sera l'héritier, il l'est déjà. C'est lui qui approfondira les idées, les gèrera et organisera tout cela ce pour quoi il a un sens confondant pour un homme qui est un artiste avant tout. Depuis qu'il a pris le Cours et la Compagnie en main, nous n'avons jamais autant travaillé à un moment où je pensais que je m'arrêterai un petit peu. Nous volons d'un train à l'autre. Tant mieux car c'est passionnant. Oui, Pierre a cette idée d'avoir un théâtre depuis un moment déjà.

Le théâtre contemporain

Vous avez évoqué le répertoire contemporain en déplorant son indigence. Y a-t-il néanmoins quelques auteurs qui retiennent votre attention et que vous monteriez ?

Jean-Laurent Cochet : J'en ai monté quelques uns mais il y en a très peu, en définitive, il faut bien le dire franchement. Quand j'étais plus jeune, ce qu'on appelait les auteurs modernes et contemporains étaient ceux qui étaient déjà classiques dès leur première pièce. Je ne suis pas de la génération des Achard, Bourdet, mais il y en a qui ont suivi et qui n'avaient pas la même puissance. Ca s'est arrêté avec Anouilh, pour ceux que j'appellent les vrais auteurs, ceux que j'ai envie de monter , avec des pièces où le metteur en scène était un directeur d'acteurs, ceux dans lesquels il y a des rôles à diriger, des caractères,  des situations, etc.…

Après Anouilh, cela s'est amenuisé parce qu'on empêchait les auteurs d'écrire les pièces qu'ils avaient envie d'écrire parce qu'ils savaient qu'elles n'auraient pas été montées, que s'il y a plus de trois acteurs, on vous dit que c'est très lourd, on regarde au nombre de décors, et puis il y a la Comédie Française qui ne fait pas du tout son travail et, parallèlement, alors que disparaissait la qualité de l'écriture, le cinéma et la télévision prenaient plus de place. Quand Prévert écrivait des scènes de films, on pouvait en extraire des scènes entières que l'on passait dans des auditions ou au cours car c'était du théâtre. Au cinéma, cela s'est aussi arrêté avec Jeanson et Audiard. Maintenant tout est grossier.

Il en est de même pour les auteurs dramatiques. Il y en a un qui commence à faire sa place, il serait temps car il vient d'avoir 50 ans, qui a toujours été un petit peu discret jusqu'à présent, et qui est un vrai auteur dans les limites de sa personnalité : c'est Jacques Mougenot. Il y avait aussi Bernard Mazéas, qui est un monsieur plus âgé, mais ses pièces étaient très difficiles à monter. Elles étaient très originales et ont été beaucoup jouées à la radio, mais elles étaient injouables sur scène - car le plateau était envahi d'animaux - avec une imagination pas très scénique mais il avait un vrai talent d'écriture. Non, en France, je ne vois pas.

Il y a eu une belle école en Angleterre et qui commence à se tarir. J'ai monté plusieurs fois Ayckbourn, Pinter, Orton, Albee, Shisgal. Il y a des auteurs que l'on joue régulièrement, et que certains aiment bien pour avoir l'air de découvrir quelque chose et avoir l'air d'être à la mode, surtout si ces pièces ont des tendances humanitaristes. Je ne connais pas le théâtre allemand mais un auteur comme Thomas Bernard me sort par tous les pores, ce qui fera pousser des cris aux intellectuels et qui vont écrire trente pages sur Tris-Thomas Bernardt, j'allais dire Tristan Bernard, vous voyez on en revient toujours aux sources. Mais moi, quand j'y vais, je m’ennuie ferme et puis c'est tout !

Et si on monte autant de pièces étrangères, plus qu'on ne l'a jamais fait, c'est qu'en France on n'a pas de quoi s'approvisionner. Il y a de temps en temps des choses, mais ce ne sont pas des pièces, ce sont des spectacles musicaux, comme "Le cabaret des hommes perdus", je le cite, car c'est une des dernières soirées où je n'ai pas eu l'impression de perdre mon temps. Le monsieur qui a écrit le texte à la base n'est pas un auteur dramatique comme Anouilh. Un auteur est un homme qui sait écrire, non de vagues dialogues filandreux mais le Verbe qui est action, qui a de la puissance, de la véhémence, de la psychologie, que ce soit dans le charme ou dans le drame.

Il n'y en a pas. Pas du moins que l'on puisse faire travailler aux élèves. Il y a eu les premières pièces de Yasmina Reza, "Art" surtout, car après cela s'est complètement effiloché, et puis pas toujours bien monté ou bien distribué. Nous n'avons pas de grands auteurs et c'est la raison pour laquelle les gens se rabattent sur - mettre rires entre parenthèses - Eric-Emmanuel Schmitt, ce qui fait pouffer de rire les gens de métier quand on en parle entre nous surtout maintenant qu'on commence à en voir la trame, et c'est peu dire. Tout ça c'est des marchands de tapis.

Et c'est dommage parce que c’est un merveilleux travail pour les jeunes, quand ils ont fait leur gamme, qu’ils ont travaillé les grands classiques, et pas parce qu’ils sont d’il y a 3 siècles mais parce que ce sont des écritures où il y a le plus de sous entendus, d’informulé, d’ellipses, de mouvement, d’exigence, des auteurs comme il y en a eu, même des auteurs de ce qu’on appelait pas encore de boulevard de manière péjorative, et qui étaient les héritiers de Guitry, de Bourdet, de Sarment, de Natanson.

C’est très difficile à travailler parce qu’il faut pour les aborder avoir tout. Monsieur Loussier n’aurait pas été un grand pianiste s’il n’avait pas avant travaillé Bach pendant 20 ans. Puis, après, il a fait "Play Bach" et c’était aussi beau que du Bach et c’était du Loussier né de Bach.

Mais on ne s’improvise pas dialoguiste. C’est amusant à travailler pour jouer Guitry, ou Reza quand c’est une bonne pièce, ou Julien Green, ou du Verneuil quand on va jusqu’à ce répertoire-là qui est encore assez vivant, Flers et Cavaillet, qui comprend des pièces merveilleuses, datées mais pas du tout démodées. Il faut avoir travaillé intensément tout le répertoire classique pour s’en extraire et s’en libérer avec quand même la base, technique, mouvement, respiration, et là, justement, ne pas avoir l’air de jouer du tout. Ca, c’est une espèce d’improvisation, de ré-invention que nécessite ce théâtre très parlé, très familier, pour ne pas le jouer plat, neutre, et approximatif.

Ah oui, il parle juste. Ah oui c’est pas faux"… Ah oui….  mais rien ! On voit sur un plateau ce qu’on voit dans la cuisine d’un voisin si on allait y passer une heure et c’est la raison pour laquelle on a fait "Brèves de comptoir". Pensez si c’est du théâtre ! C’est d’une médiocrité infamante ! Non, il n’y a plus d’auteurs.

Mis à part l’impact du cinéma et de la télévision, voyez-vous d’autres raisons à cette indigence ?

Jean-Laurent Cochet :Il y a des gens qui aurait pu écrire pour le théâtre. Je pense à des gens qui auraient été de merveilleux auteurs comme Modiano, Dabadie. Ils ont fait une pièce et la critique les a assassinés alors ils ont préféré retourner à leurs romans et surtout aux dialogues de cinéma où ils sont payés des fortunes que d’aller au théâtre se faire assassiner et où on touche, même si ça marche, beaucoup moins d’argent !

Et puis il y a un manque de goût qui est venu en parallèle avec l’évolution de cette société d’argent, de vitesse. Il y a des directeurs que je respecte et qui ont du goût, mais cela se compte sur les doigts d’une main, et puis il y a tous ceux qui sont venus là par, leur argent, par leur appartenance à un réseau ou par relation. Et on en arrive à quoi ? Aux Molières, à toutes ces mascarades, toutes ces choses impies et inutiles, vaseuses. On ne sait plus qui parle de quoi. Nous sommes dans un pays qui en arrive à donner un accessit à Monsieur Clint Eastwood !

Qui ne s’est d’ailleurs pas déplacé pour venir le recevoir.

Jean-Laurent Cochet : Il a bien fait. Il n’aurait même pas du venir du tout. Ah non c’est la décadence d’un pays dont on attend de tous les cotés quelqu’un pour faire resurgir une discipline, une harmonie, une connaissance, une autorité. C’est la gabegie ! Dieu sait que je suis un optimiste à tout crin mais il faut quand même être lucide. Des raisons il y en a cinquante ! On ne peut plus monter la pièce que l’on veut parce qu’on nous rétorque que c’est trop lourd ; on entend n’importe quoi comme "Ah non pas cette année ! Dans 2-3 ans parce qu’il y a eu trop de pièces à costumes cette année". N’importe quoi ! Sans savoir et pas seulement pour vous opposer un refus.

Personne ne sait plus rien et ce ne sont que des coups. Il en va de même pour les interprètes : celle-là est la nièce d’untel, on ne sait pas et on ne veut pas savoir, ce n’est pas ce qui est intéressant. Il y a toujours eu des comédiennes qui jouaient la comédie parce qu’elles étaient la nièce de quelqu’un mais aussi parce que certaines avaient du talent. Il n’y a plus de professionnalisme et il n’y a plus aucun critère de connaissances : c’est entre les mains de n’importe qui.

Certains de vos élèves présentent aux Master classes leur propre texte. Avez-vous parmi vos élèves des jeunes qui ont un goût affirmé pour l’écriture et envisagent d’écrire pour le théâtre ou cela reste-t-il des exercices d’écriture plus personnels ? 

Jean-Laurent Cochet : Dans les pièces des quarante dernières années, quelquefois il y en a eu qu’une ou deux puis l’auteur n’a plus rien trouvé à raconter, mais parmi les meilleurs pièces isolées - j’entends par là qui ne font pas partie d’une œuvre importante - nombreuses ont souvent écrites par des comédiens comme les toutes premières pièces de Françoise Dorin, Romain Bouteille et Henri Garcin, Pierrette Bruno. On pourrait citer une bonne douzaine de pièces qui ont été de jolis divertissements. Jacques Mougenot, que j’ai cité, est un auteur formé à une école d’art dramatique dont il a compris les règles puisque cela les épanouit sur tous les plans.

Les élèves écrivent beaucoup, ils ont tous ce goût d’écrire des textes pour eux ou des poèmes, certains avec une espèce de génie, comme Jean-Baptiste Ponsot, et, il ne faut pas avoir peur de le dire, c’est Rimbaud. Et j’aime mieux ce qu il écrit à certains poèmes de Rimbaud. Il y en a quelques uns qui ont le goût du verbe mais auteur dramatique moins car leur imagination n’est pas très exaltée. Ils ne vont pas se mettre à écrire un drame romantique, et je ne sais d’ailleurs pas si ce serait intéressant, car ils ne pourront jamais le monter. Et ils n’ont pas envie d’écrire ce qu’ils voient monter autour d’eux, des pièces sur l’échangisme, sur le baby sitting, sur la politique. Ce n’est pas du théâtre. Ce sont des choses qui se passent sur un théâtre comme elles pourraient se passer dans la rue, sur un ring, dans un palais des sports, comme c’est le cas d’ailleurs. Le théâtre est partout et il n’y a plus de théâtre.


Le théâtre aujourd'hui

Vous évoquiez en quelque sorte l’éducation, l’esprit éveillé au théâtre. Avez-vous des idées pour former le goût des jeunes générations au théâtre ?

Jean-Laurent Cochet : Il faut commencer par détruire tous ceux qui en sont les responsables en ce moment. Tous les ministres qui se sont succédés, tous les pontes de ci et de là s’y sont essayé et en réponse à leur ignorance, en réponse à des idées d’énarques, en réponse à des propositions politiques de gens dont ce n’est pas le métier - et quand ils parlent de culture il n’utilise pas le mot dans le même sens que nous, c’est la culture avec un grand K et ils mélangent tout. Ils sont complètement ignorants, ceux qui suivent la mode et quelquefois croient la précéder. Il faudrait d’abord dire que tout cela est faux, tout cela n’est que mensonge et n’est pas humain, tout cela n’est pas charnel, n’est pas intelligent. Et faire place nette. Je ne vois pas pourquoi il faut se cogner la tête contre les murs avec tous ces incultes et tous ces cuistres, tous ces gens payés pour aller faire des inaugurations et qui ne savent pas de quoi ils parlent.

C’est une chienlit inimaginable ! Dans le monde politique, il n’y a quasiment pas une personne dont le nom me vient à l’esprit pour entrevoir une solution. On ne peut pas à soi tout seul, même Sarkozy que j’apprécie, affronter tout un pays qui se complet dans sa médiocrité et les responsables annexes qui se complaisent sur un fauteuil en sachant qu’après ils en auront un autre et qu’ils ne connaîtront pas plus la marine que l’agriculture. C’est un raz de marée. Je ne suis pas révolutionnaire quoique je le sois beaucoup plus que tous ceux qui s’imaginent en descendant dans la rue réclamer des choses neuves. Le monde est à l’envers parce qu’il manque d’intelligence, de connaissances, de bon sens, de goût, d’humanisme. C’est fini !

Il reste quelques figures isolées, on lit un article de M. d’Ormesson, ou de M. Rioufol, ou M. Taillandier mais tout ça ce sont des icebergs qui se baladent au milieu des débris de ce qui a été un des premiers pays sur le plan de la culture. A l’étranger, on rigole de nous et il se passe plus de choses dans les pays limitrophes, comme la Belgique et la Suisse, ou en Europe Centrale que chez nous. Ce n’est pas parce que nous avons 201 salles de spectacles qu’il s’y passe des choses intéressantes. C’est n’importe quoi. Cela va de la réunion politique au "cul" ! Il faudrait agir poste par poste et il n’est pas sûr qu’on trouverait tout de suite la bonne personne. On me donnerait maintenant, et Dieu sait que je ne la sollicite plus, la Comédie Française, la première chose à faire serait de renvoyer toute la troupe…

…. Il n’y a personne à sauver ?

Jean-Laurent Cochet : …il y a quelques exceptions parmi les plus âgés qui vont partir d’eux-mêmes dans un ou 2 ans. Il faudrait tout revoir depuis le papier toilette jusqu’au contrôleur général, aux grévistes des équipes techniques, car cela s’est déglingué au Français, comme ailleurs, en beaucoup moins de temps qu’il n’en faudrait pour le refaire. Ce n’est pas que ce soit difficile si on a l’argent. Et l’argent existe puisqu’ils le gaspillent pour des bêtises. Mais il faut lutter contre des gens installés, contre des esprits, contre le désordre et la médiocratie parce que cela arrange une majorité. C’est peut-être une vision facile et globale du monde qui nous entoure mais c’est quand même la vision réelle.

On nous oppose souvent les diktats des ministères et tout ce qui a été inventé pour nous tuer, et qui est entre les mains de gens qui n’ont ni le courage, la plupart du temps, ni la qualité d’esprit, ni le bon goût, ni le sens de la raison, de l’harmonie. Le monde s’est complètement robotisé et on ne peut pas revenir en arrière tant qu’il y aura des gens qui ne se rendent pas compte qu’ils se tuent eux-mêmes. "Ah j’ai trouvé en une heure sur internet" …si cela les amuse…Mais je connais des philologues qui ne voudraient pas trouver en une heure ce qu’ils mettent 50 ans à trouver et qui les rend heureux. Chacun son truc.

Nous sommes complètement robotisés et le monde complètement déshumanisé. On fait semblant d’exister, on est des machines avec des numéros de carte bleue. On a une adresse, un compte en banque, on paye la facture de gaz… mais où sont les hommes ? Ce n’est même pas une question de civilisation mais d’espèce. Ce sont des tarés, tout le monde le sait, mais il y a ceux que cela arrange, ceux que cela amuse, ceux qui s’en foutent, c’est évident ! Même si c’est pratique pour certains d’entre eux. Sortez dans la rue et regardez sur une distance de 100 mères, il y a 26 personnes qui sont chacune en train de parler à leur connerie d’oreille. Même Jules Verne n’aurait pas inventé une chose pareille. Cela va plus loin que les BD, c’est un suicide collectif !

Et personne ne s’en rend compte et tout le monde devient sourd ! C’est fou ce qu’on vit en ce moment et c’est beaucoup plus important que le déluge. Après le déluge, il a suffi de faire sécher et on en avait viré un bon peu ! Maintenant il y aura toujours, ne serait-ce qu’un lilliputien, quelqu'un pour trouver la formule qui, grâce à l’argent, vous fera renaître ou inventer des choses de plus en plus perfectionnées, croit-on. Vous savez qu’il y a actuellement des gens qui achètent des billets pour être parmi les premiers à aller dans certaines planètes dont on dit qu’on ira s’y installer. Il vaudrait mieux aller voir ce qui se passe dans la baie de Somme ou au pays Basque. C’est étonnant ! Je n’en reviens pas de ce que la vie m’ait amené à en arriver à ça !

Moi, ça ne me gêne pas, je ne me sers pas de toutes ces techniques. Ca ne me manque en rien. Je continue à fréquenter les quelques personnes à qui j’ai envie de parler et on en connaît toujours trop. Au contraire, ça me laisse tout le temps de faire ce que ne ferai pas si j’avais, soi-disant, quelque chose pour le faire plus vite. Du moment qu’on peut le faire plus vite, on en fait davantage, plus on en fait moins on les fait bien, on effleure les choses et on a la tête qui se grignote. Il ne faut pas se poser la question de ce qu’on peut faire maintenant car c’est vain. Voilà quelle peut être ma réponse.


Le monde d'aujourd'hui

C’est un peu déprimant car c’est une dérive civilisationnelle mais à chaque fois, on a pu rebondir.

Jean-Laurent Cochet : Pas toujours. Il y a eu Noé, il y a eu Hiroshima, et maintenant c’est en train de passer. On s’en rend moins compte parce que cela fait moins de bruit, et pour cause, on n’entend plus, ou plutôt le bruit envahit tout. Il y a eu l’eau, puis le feu, et, en ce moment, c’est l’air. Ce sont les ondes qui ne parviennent plus aux individus qui sont complètement désarmés puisque les choses ne leur parviennent plus de façon naturelle ; le cerveau est contaminé. Nous ne sommes pas fait pour nous mettre des trucs dans tous les trous. Il y a ceux dans lesquels Il a souhaité qu'il s'y passe des choses et puis les autres. Ce qui est fait pour entendre ce qui se passe à l’extérieur n'est pas fait pour y mettre de trucs qui détruisent tout à l’intérieur. C’est un saccage !

Les gens ne pensent plus. C’est une nouvelle race, des  mutants. Ils sont dans leur tête comme ils sont dans leur pantalon où on "chie". C’est la même chose ! Ceux qui n’iraient pas spontanément vers cela y vont par contamination. Et les parents les y incitent pour dire qu'ils ont des fils dans le vent ! Le sursaut, on l’attend. On l’attend d’un homme, mais comment ce pauvre peut-il lutter contre des gens qui lui disent "Oui venez là" et quand il est arrivé lui disent "Sortez on ne veut pas de vous". C’est inimaginable la bêtise des masses et des individus tout cela à cause de contradiction politiques ici, religieuses dans d’autres pays.

C’est le mal de l’homme. Il y a toujours des choses qui en ressortent. Avec le recul, on se souvient des grands noms d’une certaine régénérescence et les quelques noms qui ont essayé, sans forcément y réussir. On ne parle pas de génération, on parle de Confucius, de Périclès, et de grands noms de chaque siècle qui, en dépit de leur siècle ont agi mais à l’échelon humain. C’est comme les gens qui, soi-disant, lisent la Bible - alors ne parlons pas de ceux qui ne la lisent pas - et qui disent n'y comprendre rien, et pour cause, quelquefois on ne peut pas comprendre mais on peut faire de recherches. Il y a des prêtres qui sont incapables de répondre à certaines questions, voir Tisot, tout le monde rigole de lui, dont les travaux sont absolument fascinants et il n’y a que monseigneur Etchegarray à Rome pour lui dire qu’il a raison.

Cabanis l’a dit, d’autres l’ont dit et le disent encore, comme Monsieur d’Ormesson, tout s’est arrêté avec la civilisation du cheval. On ne pouvait rien faire de mieux que d'associer l'homme à son compagnon de toujours, pour une vitesse raisonnable, humaine, pour un compagnonnage humain, l'animal pouvant nous donner bien des leçons, Et il y a le train, c’est bien et amusant pour emmener les enfants à Montmartre mais sinon, si c’est pour aller plus vite, quel intérêt ? Il faut prendre le temps de vivre. Tous ces gens qui existent à la petite semaine qui ne réalisent aucun de leur rêves si ce n’est d’aller aux Seychelles faire une partie de golf, c’est de l’infantilisme !

Bien sûr, le nerf de tout cela, c’est l’argent. C’est fou de penser que le monde en est où il en est alors que dans un pays comme le nôtre, en particulier, il n’y a pas eu une seule guerre. Le monde est en guerre en permanence mais, chez nous, pas du tout. Il est vrai que s’il y avait une guerre elle serait atomique. Alors allons-y à la "va comme je te pousse" et, après, on se crée des problèmes. Comme trouver une solution pour le problème des SDF. Je sais bien que les journaux passent leur temps à relater des choses négatives parce que sinon cela n’intéresserait personne, mais c’est quand même extraordinaire : il se passe tous les jours quelque chose de pire dans un coin d’un bled d’un département le moins peuplé ou dans un coin du Zabalaistan !

Ca a mené les gens à la folie avec l’abandon complet des valeurs premières. Plus d'éducation, plus de civisme, aucune éducation et on dit : "Voila ce qu'on va réinventer maintenant". C’est n’importe quoi : de la merde sur de la merde, on nettoie avec une autre sorte de merde et après on la file dans un musée, on en fait une galerie avec les peintures de monsieur Botéro ou de "monsieur mon cul puisqu’il en chie" !

Pour ma part, je suis tellement - et je ne sais plus si c’est un vice ou une vertu - pas optimiste, car cela ne veut rien dire et il faudrait être aveugle, mais je vis tellement dans l’espérance, je vis déjà ailleurs même si je ne sais pas comment ça s’y passe. Je suis beaucoup plus en contact, en permanence, avec le Seigneur, avec les gens que je prie ou avec les gens qui ne vivent plus depuis longtemps mais dont l’âme respire encore quelque part et dont on se sent tout emprunt quand on vit, justement, en prenant le temps et non pas ce monde qu'on traverse comme un gosse qui ne sait pas quoi faire et qu’on fait traverser une forêt en flammes parce que ça a brûlé et qu’il faut aller ailleurs On suit et, tant qu’on est pas trop brûlé, on s’en accommode mais ce n’est pas pour cela qu’il ne faut pas ouvrir les yeux.

Quant à faire quelque chose moi je répondrai "prier". Prier comme le faisait Jeanne d’Arc. Je crois qu’il n’y a pas de solution au niveau de l’homme, étant donné ce qu’il a prétendu être, et ce qu’il a oublié qu’il était, ce coté apprenti sorcier. C’est foutu. E.T. ou quelque chose comme ça c’est nous ! Inutile de nous faire des oreilles jaunes ou des gueules de BD c’est les gens qu’on rencontre. Pas besoin de les dessiner sur un livre, il se dessinent eux-mêmes des gueules de cons, des cheveux verts, eux-mêmes soulignent qu'ils vont plus loin dans la déshérence et dans la laideur.

Ce n’est pas consolant que ça ait commencé il y a longtemps puisque ça a commencé au moment où l’homme s’est abandonné au profit d’une politique. La révolution française, on l’a beaucoup fêté sous Monsieur Mitterrand, mais un peu comme on aurait fêté, à mon avis, la fin du monde. Ils vont d’anniversaire en anniversaire en ne sachant même pas qui étaient ceux dont on fête l’anniversaire. C’est insensé. Et amusant. Mais on n'y peut rien. La preuve est que même ceux qu’on nomme pour qu’ils y puissent quelque chose ont bien du mal à faire le quart de ce qu’ils auraient pu faire. C’est quand même extraordinaire ! Cette société est un monde apocalyptique !

Tant que cela n’explose pas, comme à Hiroshima, on s’en fout et on ne s’en rend même pas compte. Ce qui se passe chez le voisin, il a tué sa femme, oh bien, on s’en fout. Ce sont les drames courants et c’est anecdotique. Comme a dit Le Pen, et Dieu sait qu'il y a bien à dire, les tours de New York c’est anecdotique. Des gens qui meurent il y en a tous les jours. C’est de la pâtée pour la première page des journaux pendant 15 jours. Après, on n’en parle plus et on n’en tire même pas les leçons. Si ce n’est des ragots, des bavardages, du blabla de télé fait par des interviewers qui interviewent mieux que d’autres  parce que moins ringards. Ce sont des termites qui se bouffent sur le dos, la carapace plaquée or.

Les gens ne s’en rendent pas compte et, même quand ils s’en rendent compte, ils ne font rien. Parce qu’ils n’ont pas conscience qu'on en est à ce point là. Les gens râlent tout le temps sur des petites choses en ne rendant même pas compte que c’est dépassé. Il faudrait voir cela du point de vue de Sirius sinon on le voit du haut de la tribune de la première page d’un journal ou du journal de 20 heures ! Ce sont des pygmées animés par des décharges électriques qui viennent dont on ne sait pas où, d’une autre planète. Même pas, on le sait depuis l’apocalypse, c’est l’ère diabolique. Mais comme Il a tout voulu, Il a voulu ça aussi, peut-être pour mieux retrouver un Eden. Peut-être pas pour  nous, pour les enfants qu’on s’entête à mettre au monde plus qu’il n'en faut alors qu’on ne sait pas ce qu’ils vont devenir.

Il y a une insouciance, une inconséquence, les gens sont fous. Encore si c’était de la folie, il y a des fous amusants quand ils sont fous dans leur jardin. Non. Ils sont cons surtout. Brel l’avait écrit et c’est une belle chanson. Mais c’est aussi la réalité. Comment voulez-vous qu’un homme politique dise la vérité ? C’est contraire à son métier. Il y a encore des rails mais ils sont pourris et disloqués, alors, on est allé en construire ailleurs, pas toujours en essayant de les faire mieux. C’est pareil. Moi qui ne fais pas de politique, je n’y connais rien, rien que du bon sens et de la psychologie face aux individus, C’est extraordinaire qu’un pays démocrate qui vote à une large majorité pour être présidé par monsieur untel, et un an après  c’est à qui ira chercher les raisons pour demander qu’il foute le camp. Pour le remplacer par qui ? Par des gens qui étaient pire avant parce qu’ils n’avaient pas réussi.

Ce sont des gogos, des panurges ! On en parle, alors tout d’un coup, ça échauffe un peu le sang. Et encore, le sang a mieux à faire. Sinon, je n’y pense pas. Sauf de temps en temps, au cours, quand je vois de quoi les élèves sont le résultat. Mais on ne peut pas vivre pour les autres. Et même, c’est Maeterlinck qui avait dit cela, je crois, quand on les alerte personne ne veut être délivré. Mieux vaut se délivrer soi-même. Voir la photo de Ségolène Royal dans le journal c’est comme disait René Simon "C’est à se les prendre et à se les mordre" !

Et pour ceux qui ne peuvent pas ou ne savent pas prier ?

Jean-Laurent Cochet : Qu’ils s’inventent une prière. Comme disait Péguy "le travail est un oratoire". La prière n’est pas que de marmonner des mots. C’est de s’offrir à chaque acte, d’offrir son travail, sa bonne foi, d’offrir son aide, d’offrir ses pensées, d’être en permanent état de don et d’échange quand on peut, d’être à l’écoute. C’est cela prière. Ce n’est pas marmonner quelques mots. Pour cela, on a des moines, des prêtres et des saints car c’est ça leur révélation, c’est de ne plus pouvoir avoir d’autre échange que ces prières du verbe, retrouver le verbe pour s’approcher de la création. J’ai l’impression, quand je vais faire mon cours le matin, de faire ma prière. Je l’ai fait avant aussi pour des choses plus intimes, plus personnelles. Là, l’idée que je vais jouer à 19 heures, c’est une prière et, en plus, comme le travail est un plaisir, c’est un bonheur, une curiosité un état permanent d’écoute, ce que ne font plus les gens puisqu’il n’y a plus rien qui se balade là-dedans.

La prière. Il y a toujours quelque chose de plus haut et de plus grand que nous. Si on ne veut pas appeler cela Dieu, parce qu’ils ne le voient qu’avec une barbe blanche soit. Il faut faire confiance, on ne peut pas être plus désespéré, au bon sens du terme, que ne l’est Haldas mais tant mieux comme ça on rebondira de plus profond. Chacun pour soi et le monde continuera sur sa lancée jusqu'a ce qu'il explose. Une planète renaît de ses cendres peut-être plus tôt qu’on ne le suppose. A force de parler du bang, il y aura bien un bong qui nous tombera sur la tête (rires).

Cela étant, il ne faut pas en parler à des gens fragiles, je pense surtout aux jeunes car beaucoup sont très friables. Sinon, mieux vaut les prévenir, c’est le meilleur conseil qu'on puisse leur donner plutôt que les inciter à fermer les yeux. Ceux qui n’ont qu'un petit pois dans la tête continueront et, pour les autres, cela peut les réveiller. Au cours, nous avons eu des élèves qui avaient des problèmes personnels et que la pratique du cours a aidé. Des problèmes avec la drogue qui sont très répandus. On pourrait compter sur les doigts d’un manchot les gens qui n’ont pas tâter du truc… Ils ne doivent pas être très fiers d’eux puisqu'il faut qu’ils aillent chercher ailleurs, somnoler ailleurs, pour avoir l’impression de vivre. C’est ahurissant. Et que fait-on ? On envisage d’en autoriser certaines.

Nous avons eu une femme d’une quarantaine d’années qui s’est inscrite au cours qui était très volubile et très excitée, qui posait toujours des questions, un peu allumée. Souvent elle me disait qu’elle redécouvrait plein de choses grâce à ce cours où elle venait plus pour écouter que pour passer de scènes. Et, de semaine en semaine, elle était plus équilibrée et elle a finit par me dire que le cours l’avait beaucoup aidé et qu’elle avait créé une boutique de T-shirt avec une équipe de gens reliés entre eux par une manière de voir, qu’elle avait donc trouvé sa voie, qui en plus la fait vivre car cela marche très bien, et qu’elle savait maintenant comment avoir un échange avec l'autre. Voilà donc une dame qui réalise sa prière dans le T-shirt. Et je vois maintenant une femme parfaitement équilibrée, heureuse, qui a accepté des règles, une discipline, qui est parvenue à se rassembler pour vivre une vie d’homme.

 

A lire aussi sur Froggy's Delight :

La chronique du spectacle "Correspondance inattendue"
La chronique de la Master Classe du 9 juin 2008
La chronique de la Master Classe du 26 mai 2008
La chronique de la Master Classe du 12 mai 2008
La chronique de la Master Classe du 21 avril 2008
La chronique de la Master Classe du 14 avril 2008
La chronique de la Master Classe du 17 mars 2008
La chronique de la Master classe du 18 février 2008
La chronique de la Master classe du 4 février 2008
L'entretien d'avril 2008 avec Jean-Laurent Cochet
L'entretien de mars 2008 avec Jean-Laurent Cochet
L'entretien de février 2008 avec Jean-Laurent Cochet
L'entretien de janvier 2008 avec Jean-Laurent Cochet
La chronique du spectacle "La reine morte"
La chronique du spectacle "Aux deux colombes"
La chronique de la Master Classe du 14 janvier 2008
La chronique de la Master Classe du 10 décembre 2007
La chronique de la Master Classe du 26 novembre 2007
La chronique de la Master Classe du 12 novembre 2007
La chronique de la Master Classe du 29 octobre 2007
La chronique de la Master Classe du 1er octobre 2007
L'entretien de décembre 2007 avec Jean-Laurent Cochet
L'entretien de novembre 2007 avec Jean-Laurent Cochet
L'entretien d'octobre 2007 avec Jean-Laurent Cochet
L'interview de Jean-Laurent Cochet en juillet 2007
L'entretien de juin 2007 avec Jean-Laurent Cochet
L'entretien de mai 2007 avec Jean-Laurent Cochet
L'entretien de mars 2007 (2) avec Jean-Laurent Cochet
L'entretien de mars 2007 (1) avec Jean-Laurent Cochet
L'entretien de février 2007 avec Jean-Laurent Cochet
La chronique de la Master Classe Arc en Ciel n°3 de mai 2007
La chronique de la Master Classe Arc en Ciel n°2 de mai 2007
La chronique de la Master Classe Arc en Ciel n°1 de mai 2007
La chronique de la Master Classe d'avril 2007 : Théâtre, je t'adore
La chronique de la Master Classe de mars 2007 : Hugo
La chronique de La Master Classe de mars 2007 : Musset
La chronique de La Master Classe de février2007 : Marivaux

En savoir plus :

Le site officiel de Jean-Laurent Cochet

Crédits photos : L. Hini (Plus d photos sur Taste of Indie)


MM         
deco
Nouveau Actualités Voir aussi Contact
deco
decodeco
• A lire aussi sur Froggy's Delight :


# 05 mai 2024 : Profitons des ponts pour lire, écouter, visiter, applaudir...

De pont en pont, voilà du temps libre à utiliser pour se faire plaisir avec de la musique, des livres ou des spectacles.
Pensez aussi à nous soutenir en suivant nos réseaux sociaux et nos chaines Youtube et Twitch.

Du côté de la musique :

nouvel épisode du Morceau Caché intitulé "Session de rattrapage 6"
"Le souffle de l'Hybris" de AA & Les Oneiroi
"Murmuration" de Darius
"Creatures lies" de Isolation
"On ne sait jamais" de Jéhan
"Newcastle" de Prudence Hgl
"Colliding spaces" de The Everminds
quelques clips : Comédie Noire, Hermetic Delight, Gogojuice, Cosmopaark, l'Ambulancier, No Money Kids
et toujours :
"Edgar is dead" de Edgar
rencontre avec Johnny Carwash qui était en concert avec TV Sundaze à Saint Etienne
"J'irais ailleurs" de Les Soucoupes Violentes
"Sublimer" de Marine Thibault
"For once" de Mélys
"Tu sauras pas quoi faire de moi" de Olivier Marois
"Boomerang" de The Darts

Au théâtre :

les nouveautés :
"Un mari idéal" au Théâtre Clavel
"Chère insaisissable" au Théâtre Le Lucernaire
"La loi du marcheur" au Théâtre de la Bastille
"Le jeu des ombres" au Théâtre des Bouffes du Nord

et toujours :
"Capharnaüm, poème théâtral" au Théâtre de la Cité Internationale
"Jean Baptiste, Madeleine, Armande et les autres" au Théâtre Gérard Philipe
"Majola" au Théâtre Essaïon
"Mon pote" au Théâtre de la Manufacture des Abbesses
"Tout l'or du monde" au Théâtre Clavel
"Dans ton coeur" au Théâtre du Rond Point
"Du pain et des jeux" au Théâtre 13 Bibliothèque
"Vernon Subutex" au Théâtre des 2 Rives
"37 heures" au Théâtre la Flèche
"Fantasmes" au Théâtre La Croisée des Chemins
des reprises :
"Rembrant sous l'escalier" au Théâtre Essaion
"Le chef d'oeuvre inconnu" au Théâtre Essaion
"Darius" au Théâtre Le Lucernaire
"Rimbaud cavalcades" au Théâtre Essaion
"La peur" au Théâtre La Scala

Une exposition à la Halle Saint Pierre : "L'esprit Singulier"

Du cinéma avec :

"L'esprit Coubertin" de Jérémie Sein
et toujours :
"Le déserteur" de Dani Rosenberg
"Marilu" de Sandrine Dumas
"Que notre joie demeure" de Cheyenne-Marie Carron
"Amal" de Jawad Rhalib
"L'île" de Damien Manivel
"Le naméssime" de Xavier Bélony Mussel
"Yurt" de Nehir Tuna
"Le squelette de Madame Morales" de Rogelio A. Gonzalez

Lecture avec :

"Après minuit" de Gillian McAllister

"C'était mon chef" de Christa Schroeder
"L'embrasement" de Michel Goya
"Nouvelle histoire d'Athènes" de Nicolas Simon

"Hervé le Corre, mélancolie révolutionnaire" de Yvan Robin
"Dans le battant des lames"' de Vincent Constantin
"L'heure du retour" de Christopher M. Wood
"Prendre son souffle" de Geneviève Jannelle
et toujours :
"L'origine des larmes" de Jean-Paul Dubois
"Mort d'un libraire" de Alice Slater
"Mykonos" de Olga Duhamel-Noyer
"Des gens drôles" de Lucile Commeaux, Adrien Dénouette, Quentin Mével, Guillaume Orignac & Théo Ribeton
"L'empire britanique en guerre" de Benoît Rondeau
"La république des imposteurs" de Eric Branca
"L'absence selon Camille" de Benjamin Fogel
"Sub Pop, des losers à la conquête du monde" de Jonathan Lopez
"Au nord de la frontière" de R.J. Ellory
"Anna 0" de Matthew Blake
"La sainte paix" de André Marois
"Récifs" de Romesh Gunesekera

Et toute la semaine des émissions en direct et en replay sur notre chaine TWITCH

Bonne lecture, bonne culture, et à la semaine prochaine.

           
twitch.com/froggysdelight | www.tasteofindie.com   bleu rouge vert métal
 
© froggy's delight 2008
Recherche Avancée Fermer la fenêtre
Rechercher
par mots clés :
Titres  Chroniques
  0 résultat(s) trouvé(s)

Album=Concert=Interview=Oldies but Goodies= Livre=Dossier=Spectacle=Film=