Texte
de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de François
Berreur, avec Mireille Herbstmeyer.
Deux Lagarce, sinon rien ! Une bonne raison pour aller voir
le diptyque lagarcien au Théâtre de l'Athénée-Louis
Jouvet qui après un Lagarce dans son jus, la reprise
de "La cantatrice chauve" dans sa mise en scène
originale avec la même distribution que lors de sa création
en 1991, propose "Les règles du savoir-vivre dans
la société moderne".
En revanche, pour ce dernier, si l'interprète est la
même, François Berreur, qui fut l'assistant de
Jean-Luc Lagarce lors de sa création en 1994, propose
une nouvelle mise en scène de ce texte élaboré
comme un guide distancié des codes et usages en vigueur
dans la bonne société.
Il existe aussi un grand livre de la vie que Jean-Luc Lagarce
n'a jamais cessé d'explorer dont cet opus constitue l'un
des chapitres - dont il explicite le fondement dans l'exergue
Naître, ce n’est pas compliqué. Mourir, c’est
très facile. Vivre, entre ces deux évènements,
ce n’est pas nécessairement impossible. Il n’est
question que de suivre des règles et d’appliquer
les principes pour s’en accommoder…" - et dans
lequel il démontre que savoir-vivre et vivre sont antinomiques
et émerge la critique de la classe bourgeoise dominante.
Pour autant qu'il puisse sembler obsolète, à
l'énonciation de règles qui paraissent aujourd'hui
totalement désuètes pour la majorité plébéienne
contemporaine mais qui demeurent dans d'autres sphères
sociales - et qui constituent d'ailleurs le fonds de commerce
d'une baronne d'extraction roturière qui a ouvert dans
un pays réputé pour ses produits d'alpage et une
académie des bonnes manières pour porte la bonne
parole aux rejetons des nouveaux riches des cinq continents
- le manuel des convenances est révélateur du
cadre normatif sociétal qui s'impose à tout individu,
à l'insu de son plein gré pourrait-on dire en
retenant une expression imagée passée dans la
langue courante, cadre qui garantit la pérennité
de l'ordre social bourgeois et rassure l'humain : ainsi "on
sera comme il faut, on ne risquera rien, on n’aura jamais
peur".
Un cadre, qui existe quels que soient le siècle, la
culture et la société et sous toutes les latitudes
- ce qui atteste de la contemporanéité et de l'universalité
de l'entreprise de libération du corps et des codes fomentée
par Jean-Luc Lagarce à partir d'un exemple connoté
- dont il faudra bien un jour s'échapper, se débarrasser,
s'émanciper, à l'instar de la décomposition
progressive de la dame-conférencière chargée
de dispenser la bonne parole dont le discours se fissure sous
les coups de boutoir des fulgurances de la nature humaine pulsionnelle.
François Berreur et Mireille Herbstmeyer, compagnons
de route de Jean-Luc Lagarce, de confrontent à un subtile
exercice dramaturgique de dualité du texte et du sous-texte
et dispensent un spectacle à l'image de Jean qui rit
et Jean qui pleure.
De l'uniforme de rombière NAP, tailleur strict chignon
collier de perles, à la robe du soir style Dior des années
50, Mireille Herbstmeyer, qui a créé le rôle,
connaît ce texte sur le bout de chaque mot et en donne
une interprétation brillantissime, en dispensant toute
la quintessence, de l'ironie à l'humour désespéré,
d'un texte dynamité de l'intérieur par des bribes
textuelles assassines.
Excellence également du jeu du comédien capable
de porter non seulement le texte, seule sur scène, mais
également le public qui reste suspendu à ses lèvres
et à chacun de ses gestes, non verbal tout aussi signifiant,
et d'une richesse exemplaire.
Rien d'étonnant à ce qu'elle soit ovationnée. |