Réalisé par Stephen Frears. Grande-Bretagne/France/Etats-Unis. Drame. 1h38 (Sortie 8 janvier 2014). Avec Judi Dench, Steve Coogan, Sophie Kennedy Clark, Anna Maxwell Martin et Peter Hermann.
Ces dernières années, le cinéaste de "Prick up your ears", de "My Beautiful Laundrette" semblait en semi-retraite sur la question sociale, s'amusant à filmer sans perdre son talent des histoires sans beaucoup d'enjeux ("Tamara Drewe", "Lady Vegas") ou préférant la satire type "Guignols" au film politique ("The Queen").
Avec "Philomena", Stephen Frears a réveillé son regard et porté à l'écran une histoire forte qui met en cause la puissante église catholique irlandaise.
Tout au long de "Philomena", il va dénoncer les Tartuffe, les puissants, les conservateurs avec la fougue d'un jeune cinéaste qui a tourné son premier film en 1968.
Des politiciens britanniques à l'Église catholique, en passant par les "néo-cons" reaganiens ou bushiens, tous se donnent la main pour maintenir au gré des époques une société bloquée, dominée par une caste bien pensante absolument sans pitié pour les petits qu'elle tient sous sa coupe ou qu'elle manipule.
"Philomena" raconte l'histoire hélas vraie de ces filles mères irlandaises des années quarante et cinquante, "rééduquées" par des "bonnes" sœurs pour "expier leur péché de chair", et à qui, de surcroît, on a retiré leurs enfants pour les faire adopter par de riches américains, qui savaient alors être généreux avec l'Institution pourvoyeuse de bébés...
"Philomena" de Stephen Frears décrit une Irlande contemporaine de celle de "L'Homme tranquille" de John Ford. Elle en est la face sombre. La riante contrée fordienne, avec ces prêtres paillards et rubiconds, ses autochtones insouciants et compréhensifs, est bien loin de celle de Frears avec ses religieuses hystériques, calculatrices et très très peu charitables.
La force du film est de confronter un membre marginalisé de la nomenklatura, admirablement joué par Steve Coogan qui ressemble à un Jean Dujardin qui aurait eu du talent sans avoir un Oscar, au témoignage d'une de ces victimes du puritanisme mercantile de l'Église irlandaise.
Parfaite une fois de plus, Judi Dench est une vieille dame digne que le malheur n'a pas abattu et, divine surprise, quelqu'un qui a gardé la foi du charbonnier. On se doute que Frears se délecte de leur face-à-face à la fois "physique" et "métaphysique".
L'athée qui pense bien, c'est-à-dire contre l'injustice faite à cette femme, se heurte au pardon chrétien de cette victime pour ses bourreaux. Il est en plein doute : maintenant que ce patricien connaît et estime Philomena, il sait qu'elle n'est pas bête, qu'elle n'aime pas son bourreau... mais qu'elle a une grandeur d'âme que cet intellectuel pur produit d' "Oxbridge" ne supposait pas aux "gens de peu"...
Ce qui aurait pu n'être qu'une dénonciation manichéenne devient peu à peu une réflexion sur la complexité du monde. Mené sous une forme d'enquête, où l'on peut flâner autant que s'énerver, "Philomena" de Stephen Frears nécessitera un bon paquet de kleenex.
Habile, élégant, filmé par un sacré bon cinéaste, "Philomena" est une œuvre humaniste que l'on n'oubliera pas. |