"We will rise from the killing floor, like a matador"
Il y a retour discographique et retour discographique. Il aura donc fallu attendre 18 longues années, devenir adulte, avoir des enfants et perdre de nombreux points de vie pour avoir entre les mains ce Sol Invictus.
Plus qu’un retour, c’est une renaissance. Il ne faut pas oublier la dernière tournée datant de 2012 où le groupe tout de blanc vêtu annonçait sa propre mort. Une renaissance, presque inespérée mais avec tout ce que cela peut induire : l’esthétique du passé (la dualité basse / batterie, le jeu de batterie de Mike Bordin et son groove particulier dû à un jeu décroisé proche de celui du jazz, l’alternance des atmosphères, des rythmes, le mariage des genres, et la folie de Mike Patton…), ce à quoi s’ajoute le parcours de chaque musicien depuis Album Of The Year en 1997 (notamment les collaborations de Patton avec John Zorn).
Oui, le groupe était mort, Patton ne voulait pas saloper leur discographie tout entière avec un mauvais album sorti juste pour de l’argent. Et puis il avait de quoi faire avec son label Ipecac et ses très nombreux projets, tous absolument indispensables : Fantômas, Tomahawk, Peeping Tom, Mondo Cane l’hommage surprenant à la variété italienne, des bandes originales (La Solitude des nombres premiers, The Place Beyond The Pines...), et donc les différentes collaborations avec John Zorn. Il n’empêche, on peut être inclassable, un performer incroyablement génial, incorruptible et radical et ne pas manquer de lucidité. Et puis il y a la rencontre entre deux membres au mariage d’un troisième puis "Matador", composée par Bill Gould jouée pour la première fois en 2011 en concert à Buenos Aires. La machine se met doucement en branle…
Parler de Faith No More comme d’un groupe culte ne veut absolument rien dire, pourtant ne pas posséder au moins un de leurs albums, c’est laisser un trou béant dans sa discographie. Le placer dans la case des groupes de métal est un non sens tellement il représente plus que cela. Telle une anguille, le groupe en provenance de San Francisco glisse entre les doigts, ne peut se résumer à un line up (qui aura connu de nombreuses évolutions dues à de graves problèmes internes), à une discographie (que de différences entre "We Care A Lot", "The Real Thing" ou "King For A Day… Fool For A Life Time"), à une succession de chansons ou à Mike Patton.
Alors ce Sol Invictus ? Inventivité, irrévérence et audace sont toujours au cœur de la musique de Faith No More. Bien sûr, on sait à peu près à quoi s’attendre, à cette folie créatrice, à ces expérimentations, à cette vague capable de nous emmener sur cent chemins différents, de nous retourner comme une crêpe, de nous caresser dans le sens du poil. Les esprits chagrins regretteront ce manque de surprise… quelle idiotie ! Bien sûr, les membres du groupe ont vieilli, on a perdu en bestialité et en côté foufou ce que l’on a gagné en homogénéité. Si ce disque couvre un large spectre de sons et de texture, qu’il est bon de retrouver ce mélange iconoclaste de rock, pop, métal, funk, soul, jazz etc., de retrouver cette écriture explosive et sinueuse, ces constructions harmoniques pyramidales, ces jeux de tension-détente, cette déferlante sonique, ces mesures à temps non isochrones… Patton est toujours, mais c’est une évidence pour ceux qui suivent sa carrière, absolument impérial. Son chant, même si il est maintenant dans un registre plus grave, est toujours aussi guttural, hurlé, de crooner, lyrique, incompréhensible, tout en rondeur, frondeur.
Sol Invictus est un disque complexe, toujours autant excentrique et plein de nuances, qui ne se livrera pas aux premières écoutes mais qui possède également une certaine efficacité et immédiateté mélodique (la fausse idiotie pop de "Motherfucker" en est un parfait exemple). Nous pourrions cartographier chaque titre, parler de l’utilisation des modes dans "Superhero" ou "Sunny Side Up", de l'électricité claustrophobe de "Separation Anxiety", de la violence qui laisse à un calme tout en tension dans "Superhero", les sens et contre sens de "Sunny Side Up", des milliers de détails qui parsèment chaque titre, du mix parfait du tandem Matt Wallace / Bill Gould qui amène clarté et visibilité, de la farce faussement de mauvais goût de "From The Dead", du déstructuré "Rise Of The Fall" mais cela serait comme disséquer la cuisine de Yannick Alleno, on en perdrait tout le charmes et toutes les saveurs…. Plus qu’un excellent disque, ce Sol Invictus se révèle donc un disque nécessaire…
# 14 avril 2024 : En avril, de la culture tu suivras le fil
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