L'art du compte-rendu est d’offrir au lecteur autre chose que la phrase bien faite. Un phrasé littéraire impeccable, bien droit dans ses mots. Le compte-rendu ouvre les portes de l’imaginaire, de ce moment où l’on est proche de l’auteur, à ses côtés, flirtant avec son sujet en toute intimité.
C’est le sentiment que l’on a, en lisant le livre de Ranuccio Bianchi Bandinelli, accompagné de Mario et Silla.
La fable pourrait commencer comme cela, Mario et Silla sont dans un bateau… Naturellement la plaisanterie serait potache s’il ne s’agissait pas des surnoms donnés par l’auteur à Mussolini (Mario) et Hitler (Silla). La comédie humaine, prend alors un goût amère. Malin comme un singe l’antifasciste. Lui, le professeur d’archéologie et d’art antique se voit dans l’obligation d’enfiler l’uniforme et de jouer le guide historique pour l’hôte de Benito Mussolini, Adolphe Hitler. Nous sommes en 1938 et le Führer a décidé qu’une semaine en Italie, entre Rome et Florence, ne pouvait pas faire de mal à sa culture.
La déambulation sera des plus cocasses.
La narration est vive et alerte. Elle ne s’encombre nullement de faux cols. La plume est pertinente, pétillante. Rien de tel pour emboîter les pas de notre guide, d’un cœur que l’on voudrait léger, accompagné de nos deux dictateurs en goguette, à la recherche d’une légitimité culturelle, le tout sous l’œil discret et vigilant de Goebbels.
Rien de moins.
Il y a là, brusquement, dans la lecture du bouquin, dans cette écriture d’avoir l’air de ne pas avoir l’air, la réminiscence de ces images cinématographiques enivrantes. Elles nous viennent à l’esprit avec précision, il ne semble pas mort ce cinéma italien ! Et si un auteur comme Moretti se prenait au jeu pour nous conter cette escapade ? Qu’aurait fait un Scola ? Ne parlons pas de Fellini ! On imagine... Car il faut avoir l’âme italienne. Le livre est un tréteau de la comédie dell' arte. En décalage avec la réalité du monde et pourtant les descriptions comportementales si réelles qu’elles font froid dans le dos.
La lecture nous laisse le temps en suspension. On retient son souffle. On se ce dit "comment c’est possible !".
Tout n’est que décor. Mussolini ne donne-t-il pas l’ordre de repeindre en catastrophe quelques hauts lieux, pour faire plus "propre" au passage de du cortège ?
Voir nos deux personnages philosopher sur l’art et l’architecture est forcement jubilatoire, renversant. Combien de fois Ranuccio Bianchi Bandinelli sauvera-t-il la mise à Mussolini devant Hitler ? Rocambolesque cette histoire de marrons glacés d’un Göring gourmand, voir les envolées de Mussolini ou la joute Hitler/Bandinelli sur l’architecture antique. D’autres naturellement comme Himmler, plus discrets, veille sur son Führer attablé qui délaisse les délices de la pâtisserie italienne pour ses petits gâteaux de rations militaires…
Tout un monde.
Mario et Silla sont dans un bateau...
La suite n’est pas à conter. Elle se tient dans les silences éduqués de l’auteur qu’il faut lire. "Quelques jours avec Hitler et Mussolini" est un texte extrait de "Le journal d’un bourgeois". La révolte de l’auteur se lit entre les lignes et c’est aujourd’hui à nous, qui avons ce livre en héritage, de bien comprendre la valeur de la résistance.
Lire la post-face du documentariste Angelo Caperna qui consacra un film à l’auteur.
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