Monologue dramatique conçu par Emile Brami d'après la correspondance de Louis-Ferdinand Céline et dit par Denis Lavant dans une mise en scène de Ivan Morane.
Voilà un demi-siècle que Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline, est mort et celui qui fuit tout autant un homme et un écrivain qu'un personnage ne cesse de faire polémique, puisqu'en 2011 Serge Klarsfeld, le président de l'association des fils et filles de déportés juifs de France, a demandé, et obtenu, du ministre de la culture qu'il soit retiré de la liste 2011 du recueil des célébrations nationales.
Un homme solitaire, atrabilaire, misanthrope, raciste, et un écrivain unique, chantre du style, qui ont fusionné en un personnage complexe que Emile Brami, qui ne souhaitait écrire ni un biopic ni une analyse contradictoire, propose d'aborder à partir d'une perspective épistolaire avec des extraits de sa correspondance.
Aussi se livre-t-il à à un exercice difficile, et réussi, pour composer une partition théâtrale en forme de soliloques rétrospectifs pour un voyage au coeur d'une oeuvre - qui appartient incontestablement au patrimoine littéraire national - et ce, telle que la voyait son auteur et une approche de son rapport à l'écriture et à la littérature de son temps.
Ainsi, comme le précise Ivan Morane qui en assure la mise en scène, "Faire danser les alligators sur la flûte de Pan", titre inspiré d'une phrase de Céline ("Je saurais s'il le fallait faire danser les alligators sur la flûte de Pan. Seulement il faut le temps de tailler la flûte et la force pour souffler ") est une invitation à "entrer dans son atelier, sur son établi, là où s’est fabriqué ce langage, cette langue qui fait que l’on ne peut plus - ou plutôt que l’on ne devrait plus - écrire comme avant lui".
Le décor naturaliste de Emilie Jouve ancre la véhémence des invectives profératoires de Céline et jugule le jeu physique de Denis Lavant, magistral, qui, par le génie de l'incarnation, compose un Céline dans son jus.
Voilà Céline qui vilipende les éditeurs, semi-comptables semi-maquereaux, et les critiques, explicite sa conception de la littérature, (pas de psychologie, de l'émotion et un style), fulmine contre l'écriture détestée ("le mot écrire me fait vomir") qui n'est pas un don mais un dur labeur manuel ("je ne crée rien je dégage de la gangue une médaille") mais une épreuve ("j'écris comme un médium fait tourner les tables, avec horreur et dégoût.") et disserte sur le style ("Le style, encore le style, toujours le style").
Et puis, de Racine, l'Homère des grandes figures judaïques, à Françoise Sagan, phénomène publicitaire, en passant par James Joyce, enculeur de mouches, l'anthologie de la littérature vire au jeu de massacre jubilatoire. Car l'homme a de l'humour et une lucidité visionnaire quand il annonce la déliquescence de la littérature.
A la mise en scène, Ivan Morane veille au grain, la frontière est parfois mince entre l'art consommé du comédien et le cabotinage, et assure une vraie direction d'acteur qui permet à Denis Lavant de donner le meilleur de lui-même sans démesure parasite.
Il lui suffit de se couler dans l'habit en couches d'oignon pour que le corps se métamorphose, que la voix adopte la scansion célinienne et que l'esprit s'empare des considérations parfois paradoxales du Docteur Destouches aux prises avec les humeurs de Mystère Céline. Du grand art.
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