Dans le dernier quart du 19ème siècle, sévit en France la vogue du japonisme, avec notamment l'art de l'estampe, l'ukiyo-e vulgarisé l'Exposition Universelle de Paris en 1878, et l’art japonais constitue une des influences majeures de Claude Monet, le maître de l'impressionnisme.

Leur point commun consistait en la même conception intellectuelle du sens de la peinture comme médium pour capter l'immuable beauté du monde à travers une de ses émanations qu'est la nature.

Claude Monet intègre et transcende de manière personnelle dans son oeuvre tant la technique picturale que la composition, la déclinaison thématique en séries et le style épuré des maîtres de l'estampe. Sans doute la raison qui explique, en retour, l'engouement des Japonais pour Monet et pour l'impressionnisme.

Un siècle plus tard, Hiramatsu Reïji, maître du nihonga, la peinture traditionnelle japonaise, rend dommage au peintre français en lui dédiant, par appropriation du motif que constitue le bassin aux nymphéas, une série d'oeuvres inspirées de son tropisme japonais.

Sous le commissariat général de Diego Candil, directeur général du Musée des Impressionnismes et Vanessa Lecomte, attachée de conservation, et le commissariat scientifique de Brigitte Koyama-Richard, professeur de littérature comparée et d'histoire de l'art à l'université Musashi de Tokyo et spécialiste de la culture japonaise, une trentaine de ses oeuvres inédites sont présentées au Musée des Impressionnismes de Giverny dans le cadre de l'exposition "Hiramatsu - Le bassin aux nymphéas".

Hiramatsu - L'impresionnisme à la japonaise

Au cours de ses séjours à Giverny, Hiramatsu apprivoise l'univers de Monet.

Il peint les paysages normands en adoptant la perspective occidentale sans toutefois abandonner la technique de l'aplat, avec les champs de coquelicots, fleurs emblématiques de la campagne givernoise, et les bords de Seine caractéristiques avec leur défilé de peupliers.

Mais l'étang aux nymphéas du jardin de Claude Monet constitue sa source d'inspiration privilégiée.

D'autant qu'il y retrouve, outre l'élément aquatique, des constantes iconographiques de la peinture japonaise traditionnelle que sont le nymphéa, ou lotus, et deux arbres ornementaux, le cerisier, symbole de beauté éphémère de la vie, et l'érable rouge, symbole du temps qui passe, qui, par ailleurs, scandent au printemps et à l'automne deux moments importants de l'année au Japon avec la coutume du pique-nique sous les cerisiers et celui de la promenade parmi les érables.

A la perspective japonaise "à vol d'oiseau" est substituée l'immersion macroscopique dans le monde du sensible constituée par une fraction de l'étang aux nymphéas de la maison de Monet, "miroir flottant" qui renvoie l'image du ciel et des nuages, à peine esquissés d'un blanc floconneux ("Brise printanière") ou envahissant l'eau sous formes de virgules dorées ("Reflets de nuages dorés").

Les miroitements de l'eau sont rendus par des vaguelettes styilisées et dorées ("Etang au début de l'automne") et parfois l'eau disparaît sous une myriade de pétales de fleurs de cerisiers au printemps et de feuilles d'érable rouge à l'automne ("Cerisiers et nymphéas", "Nymphéas et feuillage d'automne").

S'il procède parfois selon le mode de la variation à partir du regard de Monet, par exemple celui duquel procèdent les oeuvres tardives telles celle des "Nymphéas avec rameaux de saule" à laquelle répondent "L'étang au nymphéas" et "A l'ombre des feuillages", Hiramatsu le fait toujours avec la technique du nihonga, technique complexe à base notamment de pigments naturels qui constituent une palette chromatique très intense de couleurs saturées.

Aux "Grandes Décorations" de Claude Monet, panneaux monumentaux sur le thème des nymphéas, dont une suite est exposée au Musée de l'Orangerie, Hiramatsu répond avec leur pendant ornemental dans l'art japonais qu'est le paravent.

L'exposition présente quatre paravents somptueux caractéristiques du travail de Hiramatsu.

La déclinaison impressionniste avec "Symphonie d'eau, d'arbres et de nymphéas" dialogue avec celle d'un des thèmes essentiels de l'art japonais qu'est le cycle des saisons avec "Quartet de couleurs à dominante bleue" sur lequel après la pleine floraison des nymphéas les fleurs de cerisiers du printemps cèdent la place aux feuilles d'érable de l'automne.

Deux autres pièces maîtresses retracent les variations lumineuses et chromatiques chères à Monet : "Reflet du couchant sur l'étang, ouverture musicale" qui reprend le motif des saules sur l'étang empourpré des rayons du soleil avec le rouge "japonais" et "Giverny, l'étang de monet, bruit du vent" en bichromatique avec un étang bleu sur lequel joue l'or du soleil.

Et l'exposition se clôt par un paysage d'hiver ("L'étang en hiver") quand la brume poudreuse et les flocons de neige tapisse la surface de l'étang par lequel l'artiste a voulu signifier la fin d'un cycle et le début d'une oeuvre nouvelle.

Ces oeuvres de Hiramatsu, qui s'inscrit dans la peinture traditionnelle chinoise de paysage exaltant la beauté immanente du monde par la célébration de la nature éternelle dans le cycle des saisons, symbole de la renaissance, du passage du temps et de l'éphéméréité de la vie, poursuivent la quête de magie immersive de Monet.

Et fidèle à la tradition, il insère toujours dans "son" étang aux nymphéas, parfois de façon à peine visible, une présence animale. Minuscules, oiseau, grenouille ou libellule évoquent la petitesse et la finitude de l'homme face à l'immanence de l'univers.