Textes de Ghérasim Luca, mise en scène de Laurent Vacher, avec Alain Fromager et Johann Riche à l'accordéon.
Un homme placide épluche une banane, un accordéon à ses pieds. Un autre sillonne la scène de long en large, agité, rageur, avant de se lancer, de proférer une langue poétique singulière, violente et sensuelle, tragique et légère.
On se demande parfois si la poésie est faite oralisée. La question ne se pose pas avec Ghérasim Luca, qui pratiquait lui-même sa poésie sous forme de récital, pour qui "le poème [est] un lieu d'opération, le mot y est soumis à une série de mutations sonores, chacune de ses facettes libère la multiplicité des sens dont elles sont chargées".
Basés sur l'homophonie et les associations sémantiques, la plume du poète, d'origine roumaine, nourri à la culture viennoise des années 30, tisse des textes intimes profondément ancrés dans cette inquiétude métaphysique, parfois pleine d'humour, des artistes issus de lamitteleuropa.
Laurent Vacher met en scène, en voix et en musique les textes de celui qui est pour lui un "complice intime et bavard" avec l'acuité de celui qui porte les textes en lui et veut les "passer" dans une démarche bien éloignée de l'exercice de style.
Dans une magnifique, et réussie, partition à quatre mains, accompagné par un double musicien, Johann Riche à la touche puissante et passionnée, Alain Fromager, présence inspirée et diction parfaite, qualité fondamentale et indispensable et, en l'occurrence, maîtrisée et dépassée, réussit une belle et unique performance, tant orale que physique.
Ensemble, ils entrainent l'auditeur dans le sillage du poète, entre dadaisme jubilatoire et surréalisme cosmique, sur un fil tendu vers l'infini. Sans aucun doute celui de l'auteur qui écrivait : "Comme le funambule à son ombrelle, je m'accroche à mon propre déséquilibre". |