Spectacle conçu par Stéphane Olry, mise en scène de Stéphane Olry, avec Corine Miret et Didier Petit.
Les spectacles* de la Revue Eclair, s'ils peuvent déconcerter, laisser perplexe ou enthousiasmer, s'avèrent toujours aussi originaux qu'inattendus dès lors, qu'inscrits dans le registre des nouvelles écritures et dramaturgies, ils empruntent les chemins de traverse du théâtre documentaire.
Avec "Une mariée à Dijon", le binôme fondateur formé par Stéphane Olry et Corine Miret augure d'un processus créatif qui résulte de l'hybridation des expériences et des genres par ailleurs placée sous le signe de l'interactivité.
Et d'une triple hybridation autour d'un corpus littéraire, les écrits et récits de Mary Frances Kennedy Fisher, antérieurement présentés dans un cycle de lecture sur les savoir-vivre, dont la vocation d'écrivain gastronome et voyageur date de son premier voyage en France en 1929.
Elle découvre à Dijon le restaurant "Aux Trois Faisans" tenu par le chef de cuisine-propriétaire Henri Racouchot qui présentait son établissement comme "le Temple sacré des Bourguignons gourmets" dans lequel rodait le corps astral du célèbre gastronome Brillat-Savarin" qui lui révèle notamment les délices de la cuisine de terroir et de son appétence pour la gastronomie qui ne va pas constituer que son viatique littéraire.
Celui-ci, combiné avec une résidence au château de La Roche-Guyon, sis au cœur du Parc Naturel Régional du Vexin français, qui possède un potager expérimental et productif, et le dispositif de l'intervention-performance "Les Douze Dîners" de l'artiste-plasticienne berlinoise Meggie Schneider, aboutit à une forme inédite notamment au regard d'autres propositions théâtrales qui intègrent une composante gustative telle "L'île flottante" mise en scène par Alfredo Arias.
En effet, Stéphane Olry a ainsi conçu un souper-spectacle qu'il serait réducteur et erroné de considérer uniquement comme l'évocation littéraire d'un repas gastronomique ou une immersion dans une littérature "gourmande".
Ce repas composé des fruits et légumes de saison du potager précité, délicieusement épicés et aromatisés par Frédéric Danos, dont il convient, pour en laisser la primeur au spectateur, de ne dévoiler ni le menu ni les modalités, imprime une convivialité, certes éphémère mais sincère, entre les convives d'un soir.
Mais là ne réside pas sa seule finalité car il se combine en interaction et en résonance, ponctuée par les illuminations musicales du violoncelliste Didier Petit, les récits dispensés par Corine Miret.
Vêtue et coiffée à la mode des Années folles, elle apparaît diaphane, telle une émanation fantomatique de l'auteure, pour narrer deux épisodes en miroir qui vont bien au-delà des anecdotes fussent-elles culinaires d'une américaine en Bourgogne.
Sans effet dramatique, prenant soin de l'écoute de chaque convive, elle relate merveilleusement la révélation intime et existentielle d'une jeune femme de bonne famille ("… à manger et à boire, bref, à être moi-même plutôt que celle qu'on s'attendait à me voir être") dont elle avait déjà la précoce prescience ("A 5 ans, j'ai commencé à subodorer que manger des bonnes choses en bonne compagnie était de la plus haute importance") qui va structurer son rapport au monde et rapport aux autres.
Et cela, avec esprit et d'une manière sensible et subtile tant flaubertienne que proustienne qui se manifeste par l'empathie naturelle à l'égard de micro-événements et des personnes ordinaires et le traitement conjoint de la sensation, du sentiment et du souvenir.
Enfin, de manière plus prosaïque, le spectacle incite bien évidemment à découvrir tant les produits du potager du château de La Roche Guyon que l'oeuvre de Mary Frances Kennedy Fisher dont quelques titres, à l'instar de "Biographie sentimentale de l'huître" ou "Le fantôme de Brillat-Savarin", mettent en appétit.
Donc une belle réussite à porter au crédit de la Revue Eclair. |