Tragédie de Corneille, mise en scène de Nada Strancar, avec Benjamin Abitan, Aymeline Alix, Mélissa Barabud, Camille Cobbi, Kevin Lellannier, Vincent Menjou-Cortès, Antonin MeyerEsuqerré, Pauline Ribat, Elena Roussina, Julie Roux et Lise Werckmeister.
Après les exercices de la classe de Daniel Mesguich et la représentation d'une tragi-comédie de Shakespeare, "Le conte d'hiver" dirigée par Yann-Joël Colline, changement de registre et d'approche dramaturgique pour les élèves de 2ème année du Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique travaillant dans la classe de Nada Strancar avec "Rodogune", tragédie sombre et violente en vers de Corneille.
"Rodogune", double tragédie, tragédie du pouvoir et tragédie familiale, met aux prises la reine de Syrie, reine perfide rongée par l'amour du pouvoir et la haine contre Rodogune qui après avoir épousé son premier mari est aimée de ses deux fils jumeaux dont l'un doit lui succéder.
Assis en fond de scène, sans décor autre que les lambris de la magnifique salle Louis Jouvet, à la fois spectateur en miroir et officiants ponctuels, et interchangeables, les élèves tous vêtus à l'identique de costumes civils masculins noirs, symbole de l'indifférenciation du comédien qui doit pouvoir tout jouer et d'humilité, attendent d'intervenir, leur quart d'heure warholien venu, pour porter la parole du personnage dans cette représentation hybride.
En effet, car si la pièce est dispensée dans son intégralité et sa continuité, elle est précédée du liminaire "exercices" car procède par alternance de comédiens sur un même rôle et comporte la répétition de certaines scènes et alternance de comédiens. Pour les éventuels distraits, pour ne pas perdre le fil, regardez les pieds des jeunes élèves féminines : les escarpins vernis noirs identifient la machiavélique, les pieds nus l'innocente.
La tragédie, sous la férule de Nada Strancar, qui montrent les hommes, et surtout en l'occurrence les femmes, fussent-ils des grands de ce monde, comme la proie de passions qui font tomber leur masque policé et s'expriment inéluctablement par le corps, un corps pétri de la même pâte que celui du vulgum pecus qui s'écharpe pour un quignon de pain, c'est la fureur, les cris, les empoignades physiques et les jetés à terre tonitruants.
La tragédie est évidemment un registre périlleux qui exige, de la part des comédiens, des moyens et une technique totalement maîtrisée pour ne pas être "visible" et éviter l'écueil de la déclamation.
Ce soir-là, c'est manifestement Mélissa Barbaud qui se montre la plus rompue à cet exercice : les répliques coulent avec fluidité et avec les bonnes inflexions et réaccentuations au point d'en faire oublier qu'elles sont versifiées. Camille Cobbi s'avère tout aussi convaincante, avec une belle intensité, qui ne sombre pas dans la démonstrativité, et une scansion singulière, induite par une pointe d'accent, qui donne du relief au personnage. Citons également la prestation de Aymeline Alix et Vincent Menjou-Cortès. |