"La morale est la faiblesse de la cervelle."
Arthur Rimbaud, Une saison en enfer.
"Réussir à atteindre une harmonie dans le mauvais goût est l’apogée de l’élégance."
Jean Genet
"I ain't got nobody left to take care of me. I can't feel any of my extremities. They're going numb. And I don't know how long I can breathe."
L’art, la musique, est un cri et Deerhunter l’a bien compris.
Pour des oreilles distraites, Monomania c’est un peu du grand n’importe quoi. Ca part dans tous les sens, ça braille, ça joue avec l’arythmie, les tonalités, c’est souvent dissonant… Pour Bradford Cox, ce n’est rien de moins que du Nocturnal Garage. Il faut l’avouer ce disque est un tourbillon, où se mélange un véritable savoir-faire pop et la fulgurance d’une écriture : punk ? Garage ? Noise ? Libre dans tous les cas.
Bradford Cox, mi-ange mi-démon (surtout démon) déjoue et dynamite les règles d’une pop souvent trop sage et calibrée et positionne son groupe sur une autre planète, en tout cas loin des groupes préfabriqués, entre explosion musicale, acuité pop, rock expérimental et un certain avant-gardisme. Guidé surtout à l’instinct, Monomania épouse une réelle urgence enfin assumée. Mais une urgence maîtrisée, peaufinée. Si le magnétique, dégingandé et tourmenté chanteur guitariste continue de manipuler sa marionnette de freak génial, il semble maîtriser son sujet à merveille et a décidé de ne circonscrire dans aucune case sa musique. Difficile donc de classer ou de tenter de répertorier les méandres, les fractures et autres ellipses de ce Monomania. Difficile de retranscrire cet alphabet, ou ce nouvel alphabet et cette grammaire musicale transgenre.
Obsédant, explosif, anticonformiste, étrange, à la production mid-fi, déglingué souvent, apaisé parfois, Monomania est un diamant, aussi noir que complexe et profond. Des écoutes répétées seront nécessaires pour comprendre la folie et l’exubérance explosive de titres comme "Leather Jacket II", "Monomania" ou "Neon Junkyard" mais la beauté évidente, la qualité d’écriture de titres comme "Blue Agent", "T.H.M." ou "Nitebike" se révéleront rapidement.
On retrouve en filigrane dans ce disque une part de l’intimité de Bradford Cox. Le chanteur n’hésite plus à clamer son homosexualité : "I was spinning my big wheels, They were stuck and I was stuck to them, The Night was clear, and I was queer, and I was only of age one year" ("Nitebike"). Une sexualité non dénuée de fantasmes virils ("I’m a boy man, and you’re a man, man !", "Dream Captain"), mais rêvée, sans sexe : "Ton amour vaut-il la nausée qu’il pourrait apporter ?" chante Bradford Cox dans "Modern Aquatic Nightsongs" sur son album solo Parallax sorti sous le nom d'Atlas Sound. Une sexualité érigée comme une opposition aux usages établis, valant pour sa valeur d’évocation et pour son coté transgressif. La transgression et la sexualité au centre de ce Monomania qui se termine avec "Punk (La Vie Antérieure)" manifestent des aspirations d’un Cox qui semble de plus en plus en phase avec lui-même.
"Finding the fluorescence in the junk, By night illuminates the day" |